On connaît la ligne de démarcation entre la zone occupée et la zone libre instaurée depuis l’armistice de 1940. On connaît moins la ligne entre la zone occupée et la zone interdite, la « zone de repeuplement allemand », territoire interdit aux réfugiés. Cette ligne traversait Ste-Ménehould.
Après la percée de Sedan du 13 mai 1940 et la victoire de l’armée allemande, huit à dix millions de civils français prennent la route, décidés à fuir l’ennemi. Le nouveau gouvernement, dirigé par le maréchal Pétain, demande l’armistice le 17 juin 1940. Signé le 22 juin, à Rethondes, l’armistice franco-allemand prévoit le découpage de la France en 2 grandes zones séparées par
une ligne de démarcation. La zone occupée est placée sous l’autorité du gouverneur militaire de Paris et couvre environ 55% du territoire. Le 2 juillet 1940, le gouvernement français s’installe à Vichy qui devient en quelque sorte la capitale de la zone libre. Le 10 juillet, le gouvernement vote les pleins pouvoirs au maréchal Pétain qui promulgue « l’état français ».
Zone interdite du nord-est.
Cette vaste étendue de territoire au nord-est et à l’est de la France occupée est elle-même partagée en quatre zones : la Moselle et l’Alsace annexées au Reich, les départements du Nord et du Pas-de-Calais, rattachés au gouvernement militaire de Bruxelles, la zone militaire littorale et la zone dite « zone interdite » qui comprend le nord des départements de la Somme, de l’Aisne, des Ardennes, la Lorraine (moins la Moselle), la Franche-Comté, sauf le sud du Jura, la moitié est de la Haute-Marne, quelques communes de la Marne et de la Côte-d’Or. Ces territoires devenus « zones réservées » sont coupés du reste de la France par la ligne nord-est, Nordost Linie, créée le 7 juillet 1940 et mise en fonction le 20 juillet. Ils étaient destinés à devenir des zones de peuplement allemand, jouant le rôle de zone-tampon à l’ouest de l’Allemagne.
La zone interdite est fermée au retour de ses habitants qui avaient évacué en masse. Mais dès le mois de mai 1941, le régime est assoupli autorisant la rentrée des personnes utiles à l’économie et le 18 décembre 1941, le commandement militaire supprime les postes de contrôle. Tous les réfugiés peuvent revenir à parti de cette date (source internet).
Il m’a été difficile de trouver des documents concernant cette zone interdite. Après des recherches infructueuses aux archives départementales à Châlons, je suis allée aux archives à Reims et j’ai trouvé un document (pas très épais) avec pour titre « La ligne de démarcation ».
Voici des extraits d’une lettre du commissaire de police au préfet de la Marne, datée du 25 janvier 1941 :
Marc Hussenet est né à Verrières en 1914. Il a été mobilisé en 1939 puis réformé. Il a donc été un témoin de la vie sous l’occupation. En 2001, il avait évoqué quelques souvenirs de cette époque dans notre revue. Il donnait notamment quelques précisions sur la ligne de démarcation à Verrières (village au sud de Sainte-Ménehould). « Sur le pont supérieur, en haut de la rue de la Perrière un poste de garde était établi. Une mitrailleuse était en position sur le pont et la sentinelle scrutait à la jumelle le coin du »moulin de bas« jugé point sensible. Les abords de la ligne de chemin de fer avaient été élagués, ce qui leur donnait une bonne visibilité. Mais heureusement, il y avait des »angles morts« , ce qui a permis à des dizaines de Meusiens de franchir »cette frontière« sans encombre ».
Il évoque également ses ruses de passeur et ses frayeurs. A Sainte-Ménehould, il fait passer le poste de garde avec une vache et deux soldats français évadés, habillés en ouvriers agricoles. A Verrières, il fait traverser l’Aisne à deux femmes et quatre enfants. Une voiture s’arrête et cinq officiers allemands en descendent. Ils vont à la chasse et passent sans se préoccuper du groupe en répondant à leur « guten tag » ! Le plus incroyable de cette histoire est que le dernier officier l’aide à passer les derniers enfants !
Cet épisode de la guerre qui a duré à peine deux années, est inconnu de nombreuses personnes. Mais la frontière entre ces deux zones, passant à Sainte-Ménehould et quelques villages avoisinants, les Argonnais les plus âgés s’en souviennent. J’ai donc demandé à des Argonnais de se replonger plus de soixante-dix ans en arrière et d’évoquer leurs souvenirs.
Le père de Michel Drouet était militaire à Figeac. Il s’était arrangé pour rentrer, mais avant d’arriver au Chemin (village en zone occupée), il lui fallait passer « la frontière » située entre Verrières et Villers. C’est Maurice Lefèvre, cocassier à Passavant qui l’a caché dans sa camionnette. Il est ainsi passé sans encombre et a pu voir sa famille.
Le père de François Mouton était électricien à « Force et lumière d’Argonne » (EDF n’existait pas à l’époque). Il devait donc intervenir de jour comme de nuit quand il y avait des pannes de courant. Ce qui arrivait souvent à l’époque. Il avait un « ausweis » spécial qui lui permettait de sortir la nuit malgré le couvre-feu.
Un ami a vécu 15 ans à Sainte-Ménehould où son père était gendarme. Celui-ci allait, en uniforme, attendre des gens à la gare pour faciliter le passage de la ligne de démarcation en précisant bien que ces personnes étaient de sa famille ! Le Feldgendarme de service laissait passer sans effectuer les contrôles habituels. Cette opération se répéta plusieurs fois. Un garde avait repéré le manège. Au moment où son père est passé, il lui dit avec un certain humour : « Oh ! Grosse famille ! »
Agnès et jean Détente avaient quinze ans en 1940. Jean habitait Passavant, à la ferme de « Mon désir ». Il allait de temps en temps voir son grand-père
qui habitait Revigny. Il prenait le train à la gare de Villers-Daucourt. Au passage de la voie ferrée, il y avait un soldat allemand à vélo. Il fallait lui présenter son « ausweis ». Jean ne se souvient pas avoir eu de problèmes.
Agnès habitait Villers, à la ferme du château. Un jour, trois prisonniers français, profitant d’un arrêt à la gare de Villers-Daucourt, s’échappent du wagon à bestiaux où ils étaient parqués et arrivent à la ferme. Ses parents les cachent au-dessus de l’écurie à chevaux. Un jour, les Allemands viennent chercher de l’avoine. Son frère Remi se précipite pour les servir. On n’avait pas envie qu’ils s’attardent ! Un peu plus tard, la bonne, qui parlait allemand, est passée au poste de contrôle du « pont des bergers » sans encombre avec les prisonniers cachés sous une couverture dans une voiture à limon.
La nuit du 17décembre 1940, il fait très froid. Alberte vient de perdre les eaux. Marceau part chercher le docteur Braun malgré le couvre-feu. La famille habite rue du Milanais (maintenant pierre Brossolette) rue Camille Margaine. Il faut donc passer un contrôle allemand. Comment Marceau s’est-il fait comprendre ? On ne sait pas mais vers 6 heures et demie, il est rentré à la maison accompagné du docteur le bébé était déjà arrivé ! Et qui était ce bébé ? François Deux habitants de Daucourt font du bois dans la forêt de Châtrices. Bien sûr, nos deux amis tendent des collets (des pièges). Cette viande améliore l’ordinaire. Ce jour-là, ils ont attrapé un petit sanglier d’une trentaine de kilos. Leur travail terminé, nos deux compagnons chargent le sanglier sur leur charrette et mettent du bois par-dessus. Ils doivent passer un contrôle au moulin de Daucourt, mais nos deux comparses ne sont pas inquiets. Ils ont leurs papiers. Ils arrêtent donc leur cheval au poste, quand ils s’aperçoivent que du sang coule de la charrette !... Pour comble de malchance un soldat allemand, en vélo, leur demande s’il peut s’accrocher à la charrette ! La côte est raide pour arriver à Daucourt. Nos deux amis ont eu une belle peur, mais ils sont arrivés sans encombre. Le soldat allemand n’a rien vu ou a fait semblant de ne rien voir. (Histoire racontée par un habitant du village).
Hervé Chabaud, éditorialiste de notre quotidien « L’Union » et grand spécialiste des deux guerres a publié en 2011 : « La vie sous l’occupation ». On y trouve beaucoup de témoignages et de documents. En voici un concernant nos voisins ardennais qui montre bien quel était le but des Allemands. Je cite Hervé Chabaud.
L’ostland confisque les terres.
« L’ostland ou WOL est le nom qui désigne l’entreprise chargée de préparer l’annexion de la zone interdite par le Reich. En septembre 1940, les Ardennes sont département pilote. Comme on empêche les ruraux de regagner leurs exploitations, es fermes sont vides et les terres abandonnées peuvent être réquisitionnées. De jeunes agriculteurs dépêchés de saxe et de Westphalie sont envoyés dans le Vouzinois et en Thiérache. En janvier 1941, l’Ostland a déjà confisqué 60 000 hectares et montre son vrai visage de colonisation agricole. Au cours du premier semestre 1941, l’Ostland est représentée dans 380 communes des Ardennes. Environ 110 000 hectares sont sous la responsabilité de 468 exploitants allemands. Dans l’Aisne et la Meuse, ce sont près de 50 000 hectares qui deviennent propriété de l’Allemagne. Les propriétaires devenant simples salariés. Mais, petit à petit, l’Ostland perd de sa superbe et certaines exploitations sont rendues à leurs propriétaires. Le 18 décembre 1941, le commandement militaire supprime les postes de contrôle. Le 8 novembre 1942, le débarquement des alliés en Afrique du nord et l’invasion de la zone libre le 11, modifient le statut de la zone verte. En 1943, le gouvernement de Vichy permet le retour des derniers réfugiés. »
Quel a été le plus pénible pendant cette période ? Le quotidien de privations ? Le manque de liberté ? La peur ? La séparation d’avec des êtres chers ? Le froid qui a sévi pendant tous ces hivers de guerre ? Sans doute tout cela réuni.
Nicole Gérardot.
Le pont de pierre. Photo de M. Podevin