Comment était Sainte-Ménehould après la guerre 14/18, c’est la question que se posait Pierre Moreau, l’artiste qui préparait le spectacle son et lumière du 15 août. Pour répondre, il faut se dire : « Comment était la ville pendant la guerre ? », car il a dû y avoir un changement brutal à la fin des combats.
Sainte-Ménehould était une ville à 20 km du front, une ville de repli, une ville hôpital, une cité de commerce. On retrouve une brève description de la ville dans le livre « La bataille dans la forêt » écrit par jean Lévy, un combattant qui raconte la guerre et les lieux où il est passé, dont l’Argonne.
Jean Lévy ne cite pas Sainte-Ménehould, nommée par lui « Petite ville de X », mais à la description de la rue avec ses deux places, on comprend de quelle ville il s’agit. Sainte-Ménehould était donc, pendant cette guerre, une ville animée, militaire et commerçante. L’auteur osera même en dire que c’est la « Thébaïde des marchands de conserve ».
Fin juillet 1915.
Après quatre mois passés sur une autre partie du front, les hasards de la vie militaire me ramenèrent en Argonne où je suis resté presque tout l’hiver dernier.
Voici la curieuse petite ville de X, la capitale militaire de la contrée. Toujours aussi encombrée, aussi bruyante ; sa grande rue avec une place à chaque bout, où se pressent à toute heure du jour et de la nuit des files de voitures, d’automobiles, de camions ; les trottoirs où quelques rares civils font tache au milieu d’une cohue de soldats.
La petite ville n’est plus qu’une grande boutique, une boutique aux cent portes et aux mille comptoirs. C’est la Terre Promise, la Thébaïde des marchands de conserve.
La Thébaïde ? Thébaïde était une ville dans une contrée voisine de Thèbes en Egypte où les premiers Chrétiens venaient se retirer du monde dans le désert avoisinant. Un de ces pères se nommait saint Macaire, mort en 395 et dont la fête est fixée au 2 janvier. Thébaïde est rentrée dans le langage commun (et ne prend plus de majuscule) comme désignant un lieu sauvage, isolé et paisible, où l’on mène une vie retirée et calme. Par rapport à la vie du front, Sainte-Ménehould devait être un endroit où l’on vivait tranquille
Dans le livret « Les Islettes pendant la Grande guerre », écrit par René Bourlier, on trouve un paragraphe intitulé « Dix-huit mois de vie active ». De septembre 1914 à mars 1916, le village des Islettes allait se transformer en un bourg très actif, au point que certains habitants, n’étant nullement commerçants auparavant, ouvrirent un commerce et firent fortune.
Le lundi 14 septembre au matin, les derniers soldats ennemis quittaient les Islettes pour ne plus y revenir.
Le repli effectué sur toute la ligne Soissonnais-Champagne-Argonne, s’arrêtait dans notre région, non loin de chez nous, à une distance moyenne de dix kilomètres à peine. La guerre de mouvement allait se muer, et pour longtemps, en guerre de tranchées, période interminable, épuisante, grise, mais combien rouge par la consommation d’hommes qui y furent sacrifiés.
A peine libérée, la commune des Islettes se repeuple ; ceux qui ne s’étaient pas exilés trop loin purent reprendre le chemin de leurs maisons ; ils les trouvèrent dans un état lamentable. Ceux que l’autorité avait envoyés dans l’intérieur ou bien ne purent obtenir un laissez-passer pour le retour, ou bien s’étant casés par ailleurs voulurent attendre la fin de leurs épreuves : ils devaient patienter longtemps.
Les troupes vinrent occuper le village et avec elles de nombreux services et bureaux : Etats-majors, services de santé, sections automobiles, gendarmerie, conseil de guerre, bref toutes les branches des différentes administrations militaires furent représentées
Avec toutes ces troupes, la physionomie du village changea. Peu à peu des magasins s’ouvrirent, puis se multiplièrent : on fit le commerce en grand : épicerie, comestibles, conserves, papeterie, articles militaires, vins ordinaires et vins « bouchés » (de date plus ou moins ancienne) se trouvaient dans un grand nombre de maisons improvisées en magasins de ravitaillement. On partait à Châlons, à Paris, pour acheter en grande quantité et ramener la marchandise. Bref, ce fut une période d’activité commerciale inconnue du temps de paix. Quelques petites fortunes s’élevèrent ainsi rapidement et l’on vit des maisons où quelques centaines de francs paraissaient autrefois une forte somme, manier des milliers de francs tout comme de vieux commerçants en gros. Les Islettes prirent ainsi l’allure d’une petite ville dans laquelle, disaient les poilus, « on trouvait de tout ».
Nul doute qu’après la fin de la guerre, tout cela changea : fini la Terre promise, fini le village où on trouve de tout. Une autre vie commençait.