Augustin Tollitte, paysan des Charmontois, a été engagé dans les armées de la Révolution et de l’Empire (n° 83 et 84) ; revenu de Lisbonne (guerre d’Espagne), Augustin revient en France et en permission dans son village. Puis il repartira et vivra la fin de l’Empire.
On remarquera la contradiction entre le soldat qui vénère Napoléon et les mères de familles qui se plaignent sans oser le dire, parlant de « l’ogre Napoléon ».
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Si je voulais raconter notre vaillance durant le siège de Lisbonne, personne n’y croirait, alors je m’en lasse Par contre, il faut savoir comment finissaient nos malheureux blessés dans les hôpitaux. Tenez, voilà ce qu’en a écrit un témoin : « Les miliciens se jetèrent sur les malades, en égorgèrent plus d’un millier Ils voulurent forcer les survivants à les suivre sur la route, mais la plupart tombaient épuisés et furent massacrés ».
Au cours de l’automne 1810, je me porte volontaire pour faire partie d’un détachement de quatre cents hommes du 9ème corps qui se dirige vers Paris pour rejoindre le dépôt de Mayence et ramener au retour des renforts Nous serons escortés durant toute la traversée de l’Espagne par six cents hommes de la brigade La Bassée : c’est dire si les escarmouches étaient nombreuses.
Grande fut ma joie lorsque je foulais le sol de France. A Saint-Dizier, cette fois, mon chef de corps m’octroya une permission dans mes foyers jusqu’à la mi-janvier date à laquelle le détachement repasserait en ce même lieu. Deux mois, quelle aubaine ! Je retrouvais mes jambes d’Iéna et au débouché du bois de Sommeilles, je pleurai en voyant le village de Belval et, au loin, le clocher de Charmontois. Au cours de ces dix ans d’absence, ma mère s’était éteinte et grande fut ma douleur. Le père avait acheté une petite ferme en 1808 et mes jaunets (pièces d’or), vous savez, ceux de l’officier prussien, lui furent d’un grand secours.
Profitant de ma présence pour signer les actes, mon père convoqua le notaire et nous fit donation de ses biens moyennant une rente entretien pour assurer sa vieillesse : l’acte fut rédigé le quinze novembre mil huit cent dix.
La maison du père s’était enrichie de quelques beaux meubles : une horloge, un lit en cerisier dits de « style empire », au foyer figurait une superbe taque avec un Napoléon à cheval Au cabaret du pays, entre deux chopines, nous n’en finissions pas d’évoquer nos exploits et nos misères. Le plus souvent avec Joly, engagé comme moi en 1799 et démobilisé en 1806. Sur la vingtaine de conscrits de notre classe pour le canton, dix sont morts sur les champs de bataille, quatre en vie et six sont prisonniers, déserteurs ou en cours de réforme. Au pays on trouve cela bien dur. Et les mères, à la veillée, parlent de « l’ogre Napoléon », mais à mots couverts.
Deux mois, cela passe vite et je rejoignis mon unité du 27ème grossie d’un contingent de requis à Saint-Dizier, à la mi-janvier comme convenu.
Vous dire comment nous parvînmes à nouveau dans la fournaise semble difficile à raconter. Notre division et le contingent servirent à combler les vides dus à la misère et à la famine croissante De 1811 à 1813 c’est la retraite et la remontée des troupes vers le nord avec quelques coups d’éclat, mais cela ne change rien à notre destin. Par exemple, le 21 février 1811 nous nous trouvons nez à nez sur un pont avec une troupe de rebelles, les insurgés ont miné le pont mais la mine vient de rater. Nous saisissons leur troupeau : cent bœufs et six mille moutons ou chèvres pour améliorer notre ordinaire, la plupart du temps sans viande.
Mieux vaut ne pas parler du désastre de Lérins où l’on perdit le premier bataillon dans sa totalité. Si le nôtre, le deuxième, ne fut pas sacrifié, c’est parce que nous étions à ce moment-là (mars 1813) en opération dans la montagne. En juillet 1813, nous prenons position dans la vallée de Roncevaux près de Pampelune. Un ancien m’a raconté que Roland, un général de l’Empereur Charlemagne, était mort là en sonnant la retraite dans un cor.
Moi, le Roland, je ne l’ai pas connu mais je
peux raconter ce qui est arrivé à notre malheureux corps de troupe. Nos colonnes s’étaient allongées dans les maudits chemins de montagne. En dehors des tués ou des blessés, face aux Anglais, plus de cinquante hommes sont morts de fatigue en gravissant au pas de charge les pentes abruptes de la montagne C’est au camp de Sarre que nous nous séparons de notre drapeau du 27ème, envoyé à l’abri au dépôt de Mayence. Déjà l’armée anglaise avait pénétré en France.
Notre régiment campait début avril dans les faubourgs de Toulouse. Je participai à l’organisation des lignes de défense des hauteurs qui entouraient la ville. C’est une affaire qui me connaît, depuis la tranchée Kellermann dans le sud de l’Argonne !... Remarqué par mes officiers, je fus proposé le 6 avril 1814 comme sergent-chef.
Malgré notre résistance héroïque, la ville fut contournée par le sud et Toulouse céda, et cela nous obligea à battre en retraite. C’est le 14 avril que nous parvint l’affreuse nouvelle des évènements de Paris : le 8, notre Empereur venait d’abdiquer. Nous ne pouvions y croire. Alors, les restes de notre bataillon gagnent Bléré-sur-le-Cher. Un nouveau 27ème de ligne est formé avec les débris. Il est doté d’un drapeau blanc. Qui n’a pas vu brûler par des mains impies nos aigles chargés de gloire ne peut comprendre notre souffrance ?
Augustin Tollitte se retrouve dans le Cher puis à Niort mais ne participe pas aux guerres de Vendée. Ces guerres de Vendée sont un épisode peu connu de l’Histoire de France. L’insurrection vendéenne qui opposa royalistes et bonapartistes dura du 15 mai au 26 juin 1815. Autrement dit, les Chouans se battaient toujours, ne connaissant pas la défaite de Waterloo et lorsque Napoléon abdiqua pour la seconde fois.
Et à la question piège : « Quelle est la dernière bataille de l’Empire ? », il faudra répondre non pas Waterloo mais « guerre de Vendée ». Il a aussi été écrit : « Les Chouans eussent détrôné l’Empereur si l’Europe leur en avait laissé le temps ».
Le débarquement de Napoléon à Golfe-Juan le 19 mars 1815 nous rend la joie des coups de canons des grandes batailles. Tous les grognards ressortent la vieille cocarde impériale tenue cachée au fond de leurs schakos et ils l’arborent à nouveau fièrement. Mon bataillon ne participe pas aux guerres de Vendée mais reste en réserve à Niort puis à Tours. Le désastre de Waterloo achève notre moral. C’est la dissolution de notre régiment et l’ordre est donné de faire vite. Avec ces vieux briscards, on ne sait jamais ! Chacun reçoit son petit pécule. Sur le grand registre du nouveau « 27ème d’Infanterie Légère », le sergent-major lut à haute voix les états de service d’Augustin Tollitte : "Entré le 14 prairial an VII, a participé aux campagnes des armées du Rhin (an 7 et 8), du Danube (an 11), d’Helvétie (an 12 et 13), des Côtes (an 14) et 1806, à la grande armée et caporal le 21 janvier 1804. Campagne d’Espagne et du Portugal, sergent le 6 avril 1813. Rentré dans ses foyers le 19 septembre 1815.
C’était fini !... Augustin Tollitte encaissa dans son gousset de cuir son dernier prêt, quelques pièces jaunes encore gravées du N de son Empereur qu’il conservera bien précieusement. Comment rentra-t-il à Charmontois-l ’Abbé ? Certainement pas par la diligence de service avec ses relais trop coûteux et plein d’embûches Tout simplement comme il l’avait toujours fait, en marchant et s’employant aux récoltes d’automne dans les régions traversées pour s’assurer le vivre et le coucher sur une botte de paille au fond d’une grange.
A suivre dans le prochain numéro : Augustin Tollitte de retour aux Charmontois.