De nombreux historiens ont écrit le récit de la fuite du roi à Varennes et ont décrit Drouet comme un héros ou comme un traître, l’homme de Varennes ou le régicide.
Dans leur ouvrage « Un homme du peuple sous la Révolution », Roger Vailland et Raymond Manery semblent ne pas être très tendres pour le maître de poste : « Le maître de poste qui, dans une auberge de campagne, avait porté sur un roi fugitif une main sacrilège et accompli le geste qui devait changer la face du monde ».
Le personnage de Drouet a en effet toujours été sujet de discussion de la part des historiens : était-il là quand, le soir du 21 juin 1791, les voitures contenant la famille royale se sont arrêtées devant son relais de poste ? A-t-il reconnu le roi grâce à une pièce de monnaie sur laquelle était représenté le visage du monarque ? A-t-il tout inventé quand il est arrivé à Paris ? Ce qui est indiscutable c’est que c’est lui et son camarade Guillaume qui ont galopé jusqu’à Varennes et ont permis l’arrestation du roi.
Les deux auteurs, sans s’attarder sur les évènements du soir du 21 juin, racontent le retour de Varennes, quand Drouet et Guillaume ont été accueillis « comme deux citoyens courageux » et que le maire leur offrit le champagne. Mais c’est au récit du retour de Paris des deux Ménéhildiens que Roger Vailland et Raymond Manery vont avoir sur Drouet des paroles qui, dans un premier temps, nous surprennent. Drouet aurait imaginé son retour à Sainte-Ménehould :
« Il avait imaginé toute la petite ville béant d’admiration devant le héros que la capitale avait fêté on se découvrait bien bas quand il passait dans les rues. A l’église il avait une chaise au premier rang. Que lui réservait-on, à lui, Drouet, qui venait d’être porté en triomphe à l’hôtel de ville (de Paris) à lui dont le portrait avait été vendu à des milliers d’exemplaires dans les rues de Paris ».
Oui mais voilà, selon les auteurs, l’accueil fut tout autre :
« Or, dès son arrivée, on ne lui parla que des trente mille livres que l’assemblée législative lui avait votées comme récompense. Il n’était plus un héros mais un matois qui avait su profiter des circonstances pour s’enrichir. N’importe qui, pensaient les camarades, aurait été capable de prendre le chemin de traverse et d’arriver à Varennes avant le roi ; il suffisait d’avoir un bon cheval ».
Ce sentiment qui aurait animé les concitoyens s’appelle la jalousie.
« Là où Drouet avait été fort, c’est lorsqu’il avait su parler aux parisiens et gonfler son affaire de telle sorte qu’on l’avait pris pour un remueur de montagnes »
Mais le plus terrible arrive :
« Si on réfléchissait bien, le maître de poste, en jouant les héros, avait même fait passer ses concitoyens pour des nigauds ».
On le félicita avec un air narquois, en lui tapant sur le ventre, on lui demanda de l’argent, on lui demanda des recommandations. « Ce Drouet, il s’était engraissé aux dépens de toute la ville ». Et on allait boire dans son auberge sans payer.
Les deux auteurs écrivent encore :
« L’hiver 1791 fut morne pour le maître de poste. La bourgeoisie de Sainte-Ménehould le boudait. Des lettres anonymes lui parvenaient chaque jour de tous les coins de France et le menaçaient des pires supplices le jour où les factieux seraient chassés du pouvoir. »
Rappelons que Louis XVI, de retour à Paris, était toujours roi et qu’il faudra attendre août 1792 pour que la famille royale soit enfermée à la prison du Temple. Toujours selon les auteurs, Guillaume se serait fâché avec Drouet et mettait toute l’affaire sur le dos de son complice.
En effet, on peut imaginer que les Ménéhildiens, après les événements de Varennes, aient eu peur des représailles, peur que les ennemis envahissent la France, viennent détruire la ville. Ce sera un an plus tard à Valmy.
A la lecture du livre on pourrait penser que les auteurs n’aiment pas Drouet. Et pourtant, à la dernière page, Drouet devient l’homme libre. Drouet vient de mourir, sa compagne dit aux autorités : « C’est lui l’homme de Varennes, le régicide Vous ne l’avez pas eu. »
Et de dire encore :« Il est mort parce que son temps est terminé. Mais il y en a des milliers d’autres, des millions d’autres qui sont jeunes et pleins de vie. Ils se taisent pour l’instant, comme Drouet se taisait depuis dix ans. Ils se comptent. Ils se rassemblent silencieusement. Ils méditent la leçon des grands hommes de 1793. Quand ils se lèveront, ils vous balayeront tous, préfet, maire, gendarmes, roi, nobles, ralliés ! Ils seront peut-être vaincus, mais d’autres les suivront. Aucun de nous ne verra sans doute la fin de la bataille. Mais le temps viendra où, comme celui-ci l’avait voulu, chacun pourra vivre librement, en homme digne du nom d’homme ! »
Christine Francart
« Un Homme du Peuple sous la Révolution » Editions Corréa, 1947.
Si vous trouvez ce livre chez un bouquiniste ou dans une brocante, ne le ratez surtout pas !