Jules Bancelin a sa rue aux Islettes. Les noms de rues sont parfois simples, « rue de l’église », « rue du moulin », parfois plus abstraites quand elles portent le nom de personnages. Aux Islettes, la rue qui va d’un bout à l’autre de la commune, sur l’axe principal, porte le nom de Jules Bancelin, un bienfaiteur du XIXe siècle. Mais tout n’a pas été facile dans sa donation.
Alain Quenelle, Parisien et Islettois, nous conte l’histoire de Jules Emile Bancelin :
Il est né le 9 septembre 1848 à Verdun, rue Saint Pierre, une petite rue perpendiculaire à la Meuse. Sur son acte de naissance, très soigneusement calligraphié, on y apprend que son père, Henry, a 30 ans et sa mère, Marie-Françoise Tristant, née aussi à Verdun, a 20 ans. Ils s’étaient mariés un an avant, le 19 mai 1847.
Il fait partie de la classe 1868. Au tirage au sort, il a tiré un « mauvais numéro » et doit servir 7 ans dans l’armée active mais il réussit (comment ?) à se faire inscrire le 5 octobre 1869 sur les contrôles de la Garde mobile (5 ans seulement pour une sorte de Service Civil). Il n’est pas actif et peut entamer des études supérieures à la faculté de Droit.
La guerre avec la Prusse arrive en 1870. Par décret du 14 juillet il est appelé et affecté au Régiment d’artillerie divisionnaire à Châlons-sur-Marne. Il va participer au siège de Verdun en tant que Maréchal des logis, fourrier d’artillerie. Il est libéré (démobilisé) 2 ans plus tard, le 31 octobre 1872 et inscrit sur les contrôles de réserve le 1er janvier 1873.
Malgré ces « péripéties » militaires, probablement poussé par son père, avoué, il poursuit ses études de droit et en 1871 devient avocat au barreau de Paris.
Aucune photo de lui !
On sait par contre qu’il mesure 1 mètre 69, que ses cheveux sont châtains, avec un visage ovale, un front large, un menton rondet un teint ordinaire. Rien d’extraordinaire donc
1880 : deux événements majeurs dans la vie de Jules Emile :
- Son père Henry décède et il hérite de nombreuses terres et maisons.
- Il abandonne la carrière d’avocat et se lance dans une carrière administrative.
Il est nommé début 1880 sous-préfet de Nogent-sur-Seine. Il a 32 ans !
Pendant 10 ans, il « tourne » dans 6 sous-préfectures, toujours dans le nord de la France : Château-Thierry, Béthune, Corbeil, Dunkerque et enfin Lunéville. Il n’a pas le temps de se fixer. Il n’a pas d’héritier
Probablement malade, il demande sa mise en disponibilité le 18 avril 1891. Il décède un an après le 13 août 1892 à Ivry-sur-Seine dans la maison de santé du docteur Esquirol. Il avait 44 ans.
Jules-Emile est enterré à Verdun dans la concession perpétuelle de la famille Tristant (sa mère). Sur ce rectangle de 12 m2 bordé de ciment à côté de sa stèle où l’on découvre qu’il a été officier d’Académie reposent également :
- Sa sœur : Adèle-Félicie, célibataire décédée à 36 ans le 1er septembre 1888.
- Son père, Henry, le notable de Verdun décédé à 68 ans, le 24 juin 1880.
- Sa mère, Marie-Françoise, décédée en 1906 à l’âge de 78 ans.
- Ses grands-parents maternels, Hubert, le pharmacien mort à 73 ans et Thérèse-Emilie Jacquemart morte en 1869 à 76 ans.
- Et également un Jules, décédé à l’âge de 2 ans et une Félicie décédée à 20 ans, oncle et tante de Jules-Emile
Jules Bancelin est riche, il possède plusieurs maisons et de grands terrains et bois. Le plan levé et dressé en 1889 récapitule les contenances de ses terres : 240 hectares essentiellement de forêts du côté de La Noue et des champs du côté de Broda.
Avant de mourir il a eu le temps de rédiger un testament holographe. Celui-ci a été enregistré le 30 août 1892 par maître Hautdidier, notaire à Verdun. Le testament, rédigé à Lunéville en 1890, alors qu’il n’était pas encore très malade, attribuait ses biens à sa mère et à son oncle J.F. Calmet celui-ci est malade et décède presque en même temps que Jules-Emile, le 18 août 1892 contre le 13 août 1892 !... et c’est finalement François-Emile Calmet, son fils désigné légataire universel de Jules qui aura à régler la double succession.
- Parmi les biens donnés, un legs de 1000 francs arrive le 18 septembre 1892 pour la commune des Islettes, destiné au bureau de bienfaisance qui n’existe pas ! Trois ans plus tard, les fonds ayant été versés, le Conseil municipal du 24 février se prépare à attaquer en justice et vote pour cela un budget de 200 francs !!
Deux ans plus tard, les fonds ayant été versés, le Conseil municipal décide, dans sa séance du 25 novembre 1897, d’appeler la grande rue des Islettes « Rue Jules Bancelin ».
Proposition qui n’est adoptée que par 8 voix sur 13 votants.
Le 26 décembre 1897, le Conseil municipal débat :
- De la lettre de Mme veuve Bancelin qui remercie pour le vote de novembre.
- D’une autre lettre de madame Bancelin relative à un nouveau don sous forme de rente pour 2 livrets de Caisse d’épargne dont les revenus seraient attribués aux « premiers » (garçon et fille) de l’école communale et/ou de l’école libre ; à condition que les élèves primés aient obtenu le certificat d’études
Madame veuve Bancelin, généreuse donatrice, (elle avait alors 69 ans), ne peut-être que la mère de Jules qui, depuis Verdun où elle achève sa vie pense toujours aux Islettes.
Elle est bien seule, veuve, ses 2 enfants sont morts, elle n’a pas de petits-enfants, sa belle-sœur et son mari ont également disparus. Notons que durant 4 générations (de 1750 à 1850) c’est en Argonne du sud que les Bancelin sont nés, s’y sont mariés et y sont décédés : de Sainte-Ménehould à Clermont en passant par La Grange-aux-Bois, Les Islettes, Futeau, La Contrôlerie, Futeau.
A partir de 1850, le centre de gravité de la famille Bancelin se déplace vers Verdun, Nancy et Bar-le-Duc. Les professions évoluent : de cultivateur à marchand de bois, on devient avoué, avocat et négociant :
- Grand-père marchand de bois dans un petit village.
- Père avoué à Verdun.
- Et Jules docteur en droit, sous-préfet.
Qui se termine bien tristement dans une « Maison de santé pour aliénés mentaux », loin de sa mère en vie, rentière à Verdun.
Alain Quenelle, Juin 2017.
Aux Islettes, il y a la rue Bancelin, mais aussi le « Chalet Bancelin », plus communément appelé « Chalet des sœurs ». A l’origine, ce chalet aurait été construit par Henry, le père de Jules, dans la seconde moitié du XIXe siècle, pour être un relais de chasse. Henry avait acheté un terrain libre au centre du village. Le chalet comprenait un salon, une salle à manger, une cuisine, un office et 6 chambres, un jardin d’hiver et un fumoir. A. Quenelle nous raconte la « vie » perturbée du chalet :
L’ensemble des biens immobiliers Bancelin situés aux Islettes ont été achetés par une SCI créée par le maire des Islettes de l’époque : Robert du Granrut. La congrégation des sœurs de Saint Joseph s’y installe.
Le chalet et le parc sont restés dans les mains de cette SCI jusqu’en 1992 puis « donnés » au Diocèse de Verdun puis vendus en 1997 à la municipalité des Islettes.
L’ensemble est mis en vente au plus offrant en 2016. La SCI familiale dont je suis le gérant achète le tout. La propriété est ensuite découpée à mon initiative en 2 lots (le parc et le chalet) Le deuxième lot est vendu à un jeune couple de Sainte-Ménehould qui entreprend courageusement la réhabilitation complète du chalet. Ce sont eux qui habitent ce chalet avec leurs trois enfants.