Connaissance du Patrimoine Culturel Local
Le Petit Journal
de Sainte-Ménehould
et ses voisins d'Argonne
Edition régulière d'un bulletin traitant de l'histoire, des coutumes et de l'actualité.


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Notre beau Florent (Noute bée Flora).

   par Nicole Gérardot



« Le patois de Florent » est un livre écrit par l’abbé Janel et publié en 1902. Sans doute pour la première fois, le patois, qui se transmettait oralement, a été écrit. La grammaire est très copieuse et le vocabulaire important.
L’abbé Janel est né à Dommartin-la-Planchette en 1845. Il était chanoine honoraire de l’institution saint-Etienne de Châlons-sur-Marne. Il a aussi publié : « Les saints lieux : Constantinople, Athènes : notes d’un pèlerin » et « Noëls anciens en l’honneur de N.S. Jésus-Christ et de la Sainte Vierge avec les airs notés ».
C’est dans son livre sur le patois de Florent que j’ai découvert ce poème.

Doux pays, retranché dans tes forêts de Chênes,
J’aime tes frais vallons où le chevreuil bondit,
Tes verts sentiers à l’ombre et tes claires fontaines,
Ton horizon mouvant que l’été reverdit.

J’aime à voir à mes pieds ta riante vallée
Sous les saules, là-bas, le ruisseau qui reluit,
L’herbe sèche en monceaux par les prés entassée ;
Les faneurs, quand leur troupe lassée
Nous revient en chantant à l’heure où le jour fuit.

Quand le matin du printemps, de ses fleurs embaumées,
Va semant ses trésors par nos champs rajeunis,
C’est pour nous qu’au soleil la cerise empourprée
Distille sa liqueur parfumée
Limpide, chaude au cœur, l’honneur de ce pays.

J’aime entendre ton maire, dès que paraît l’aurore,
Le bras fort, le cœur gai, reprendre ses travaux,
Promenant le marteau sur la douve sonore,
Où le vin que la Champagne dore,
Pétillant et mousseux, va s’échapper à flots.

J’aime étreindre ces mains au travail endurcies ;
J’aime surtout ces cœurs ouverts à l’amitié ;
J’aime ce vieux parler et ses grâces hardies,
Ces propos, ces fines railleries
Où de nos Florentins s’épanche la gaîté.


On sent très bien dans ce poème, combien l’abbé Janel était sensible à la beauté de notre campagne et l’empathie, l’attachement qu’il avait pour les villageois.
D’ailleurs, voilà ce qu’il écrit dans sa préface :
Nous savons peu de choses sur les origines de ce village. D’où vient ce nom ?
Pour qui a vu, au printemps, le plateau, où le village est construit, surgir de la forêt avec ses cerisiers et ses pommiers en fleurs, comme une immense corbeille blanche et rose, il n’y a pas d’hésitation possible, et dussent les chercheurs nous condamner, Florent, à notre avis, vient de flor, florant, florissant.
Les habitants sont de caractère gai, quelque peu caustique : témoin leur aptitude à saisir les travers des uns des autres, et à les fixer dans des surnoms qui ont leur originalité et qui souvent s’attachent à toute une descendance jusqu’à faire oublier le nom de famille.
Mais ce qui les caractérise surtout, c’est leur nature accueillante et hospitalière : les Florentins sont des hôtes aimables, et connus pour tels.
Exubérants, ils le sont, tout en dehors, un peu vantards, disent quelques-uns. Qu’à cela ne tienne, s’ils le sont avec bonhomie, et s’ils puisent dans le cas qu’ils peuvent faire d’eux-mêmes, un peu de l’entrain et de l’esprit d’initiative qu’ils portent dans les affaires.
Ils sont fiers de leur village. Il n’y a qu’un Florent, aiment-ils à répéter. « Mou bée Flora ! » soupirent-ils, non sans émotion, quand ils doivent le quitter.
La population ouvrière, pour une grande partie du moins, exploite les forêts environnantes ou fabrique les tonneaux que l’on expédie dans les vignobles de la Champagne.
Les pommes et les cerises sont la fortune du pays ; elles fournissent, les unes un cidre des plus savoureux, les autres un kirsch très recherché des vrais connaisseurs.

J’ai également trouvé un petit conte « le St Blaise » de Florent, dans un bulletin du comité du folklore champenois de 1936.
A Florent on fabrique des tonneaux ; c’est ce qui explique pourquoi saint Vincent avait été pendant longtemps le saint préféré et le patron de la paroisse. Il eut une triste fin ce saint Vincent ! Est-ce qu’une Florentine par trop pudibonde ne lui avait pas séparé la tête du tronc ! L’histoire est véridique.
Florent se trouvait sans patron, il fallait absolument un patron à Florent. Le conseil municipal et le conseil de fabrique réunis en séance plénière décidèrent de choisir saint Blâse (saint Blaise) pour remplacer Saint Vincent. Ce choix fut ratifié par « Moncieu » l’évêque de Châlons.
Une délégation de six membres, accompagnée de Pierre Tondu, le sonneur, un malin de la paroisse, se rendit à Varennes trouver M. Mantanfell, « un faiseur de saints », pour lui demander un saint Blaise.
Nos sept délégués font donc leur entrée chez M. Mantanfell par un beau jour d’avril, à dix heures du matin.
Les Florentins avaient M. Manfantell en grande estime et de son côté, « ce faiseur de saints » aimait beaucoup les Florentins qui étaient de bons clients. Il les reçut donc à bras ouverts.
" Quelle est donc la bonne occasion qui me procure le plaisir de votre visite matinale ? Leur dit-il.
- Ah ! Monsieur Manfell, taise’v (taisez-vous) vous ne savez donc pas la triste fin de not’ pauv’ saint Vincent... Ah ! C’est un rude malheur !
Et les voilà à pleurer comme sept veaux.
En effet, dit Monsieur Mantanfell, j’en ai entendu parler. Mais là, que voulez-vous y faire ? Remettez-vous, je vous en prie.
Ah, oui, c’est cruel à supporter, plus de saint Vincent, lui le patron des caques, des tonneaux et des barils, pauv’ saint Vincent...Pour le remplacer j’v’nons vous commander un saint Blâse.
C’est très bien, je vous ferai un saint Blâse.
Puis tout à coup se ravisant : "Comment le voulez-vous votre Saint Blâse, mort ou vif ?
Voilà nos sept Florentins à se regarder.
- Ah, par exemple, j’nom’ (nous n’avons) réfléchi à ça avant d’partir, vous nous mettez dans un singulier embarras.
-Si vous l’faites mort, dit l’un, il n’exauç’râmes nos prières.
-Si vous l’faites vivant dit l’autre, y coûtera cher à nourrir.
Bref, la question était en effet embarrassante.
C’est alors que Pierre Tondu, le sonneur, le malin s’écrie : Si vous l’voulez, moi j’vas vous donner mon avis : Eh ben, M.Mantanfell, faites le toujours vivant not’ saint Blâse, s’il l’ faut mort, nous l’ turons ben après !"

Ne quittons pas encore Florent. J’ai rencontré Evelyne Richard. Cette dame a toujours eu une vie très active. Elle a fait beaucoup de bénévolat. Pendant dix-huit années, elle a été présidente de l’association l’ADMR, qui s’occupe des personnes âgées. Elle a organisé des expositions et participé à de nombreuses fêtes. Encore maintenant, elle participe à l’entretien de l’église et remplace le prêtre lors des enterrements. Mais ce n’est pas tout, Evelyne s’est découvert des dons de conteuse. Elle écrit des histoires pour les enfants. Elle puise son inspiration dans la nature. Ses sujets préférés sont les animaux, les oiseaux, les fleurs... Elle en a déjà imaginé une dizaine : l’arbre magique, le petit berger qui devient un preux chevalier, le printemps, la fille du gouverneur, la famille souris, Rourou, le renardeau... « Mes contes se terminent toujours par une morale » me dit Evelyne. Les dimanches d’été, elle les raconte au château de Braux-Ste-Cohière. Les enfants l’appellent « mémé cocotte ».
Mais le conte préféré d’Evelyne, qui est d’ailleurs une histoire vraie, est l’histoire des loups. C’est son arrière-grand-mère Julienne qui la lui a racontée. Julienne était née en 1864 et notre histoire se passe l’année 1872.
Le père de Julienne (Pierre-Eugène), tonnelier de profession, a décidé de faire du cidre. Il faut donc aller ramasser des pommes. Julienne l’accompagne. Le verger est au bout du village, près d’un bois. Pendant que son père attelle l’âne « Bijou », Julienne se prépare un bon goûter : pain, beurre, jambon...Les paniers chargés dans la charrette, les voilà partis, malgré un petit crachin et un ciel gris d’automne. Julienne n’est pas trop réjouie de ce travail, mais à cette époque pas question de protester.
La récolte est abondante, les pommes forment un tapis sur le sol. Les voilà au travail. Au bout de quelque temps, Julienne s’écrie :
"Papa, regardez, un gros chien !
- Allons, ma fille, ramasse les pommes et ne dit pas de bêtises, il n’y a pas de chien, ce n’est pas jour de chasse.
- Si papa, je vous assure, regardez-bien, il avance vers nous !
- Oh, ma fille, vite, vite, c’est un loup ! Vite dans la charrette ! Bijou, au trot !
Le loup les suivait ! Julienne lui lança son goûter, mais le loup était toujours derrière eux. Ouf ! Les voilà rentrés. Les portes bien fermées, ils restèrent dans le noir, attentifs au moindre bruit. Le loup partit en grognant.
Mais ils n’avaient pas assez ramassé de pommes !
Le lendemain, il fallut donc retourner au verger. Pas de loup ! Mais peu après, dans les fourrés, ils virent quatre grandes oreilles et six petites ! Toute la famille était là ! Le loup de la veille avec sa louve et ses petits ! Julienne prit son goûter et le jeta aux loups qui disparurent dans la forêt.
Sans plus s’alarmer, le père et la fille continuèrent à ramasser les pommes.
C’est vrai que les loups étaient nombreux autrefois en forêt d’Argonne !
Evelyne me fait encore remarquer qu’elle habite là où habitait son arrière-grand-mère. Elle est la 6e génération à vivre dans cette maison.
Nous ne quitterons pas encore Florent, car je connais un autre conte « les belles filles de Florent », mais ça sera pour une autre fois.

Nicole Girardot

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