On attribue cette formule à Dumouriez qui souligne ainsi le rôle joué par ce massif forestier lors de l’invasion du pays par la coalition Autriche-Prusse en 1792, invasion arrêtée à Valmy.
Il est vrai qu’à cette époque, grec et latin régnaient sur l’enseignement secondaire et les références à la mythologie et à l’histoire grecque étaient constantes. Les Thermopyles sont une vallée étroite de Grèce où Léonidas, à la tête de ses trois cents spartiates avait livré un combat épique mais perdu contre les Perses.
A Dumouriez disant « La côte de Biesme est devenue pour la France le détroit des Thermopyles » Laclos (celui des liaisons dangereuses) répliquait : « Soit, mais il faut être sûr d’avoir des spartiates et mourir n’est pas vaincre ».
L’analogie avec l’Argonne est contestable car l’Argonne n’est pas une vallée. De plus, elle va s’illustrer dans le cadre d’une victoire et non d’une défaite. Le bassin parisien présente dans sa partie Est une succession de côtes vaguement circulaires, dont l’Argonne. Certains géographes lui refusent la dénomination générique de Cuesta, car son sol n’est pas calcaire, mais constitué d’une roche endémique, la gaine. C’est elle, la gaine, qui va façonner le relief et imposer le couvert forestier. A l’origine, ce massif présentait une seule face pentue à l’Est (ligne Grandpré-Varennes-Clermont-Waly). La Biesme, cours d’eau atypique, va creuser une vallée longitudinale Nord-Sud, alors que l’écoulement des eaux se faisait plus aisément vers l’Est ou l’Ouest. Apparaît alors une nouvelle côte, qui va de Beaulieu à Vienne-le-Château. Elle est creusée de gorges, couverte de taillis et de futaies : un monde hostile pour celui qui lui est étranger, facilement rendu infranchissable par l’abattage d’arbres
Rappelons nous comment la tempête, de 1999 avait fait de notre forêt un monde impénétrable. On peut donc dire que c’est « tout naturellement » que l’Argonne va devenir une zone frontière et de défense au cours des siècles.
Revenons en 1792. L’armée des coalisés, épaulés par les émigrés, est en route vers Paris, avec pour objectif le rétablissement de la royauté dans la plénitude de ses attributions. Après les quelques succès, les voilà aux Islettes, désireux d’emprunter la seule voie carrossable qui mène à Sainte-Ménehould, aujourd’hui la côte de Biesme. Depuis deux siècles, la route a été élargie, redessinée. Pour avoir une idée de son tracé initial, il faut emprunter l’ancien tracé au niveau de la propriété Christiaens.
La route était très raide, bordée d’un précipice d’un côté, d’une falaise de l’autre. Les voyageurs des diligences étaient souvent amenés à descendre pour alléger le véhicule, voire à la pousser ou à la retenir.
Le défilé, dit défilé de la Chalade, était le chemin qui menait à travers bois de Varennes à la Chalade. Le défilé de Grandpré est en fait la vallée de l’Aire qui se jette là dans l’Aisne. Le député Beaupuy de Châlons-sur-Marne écrivait : « Les passages des Islettes sont inattaquables parce que la nature offre à l’art (de la guerre) des ressources infinies , jetez les yeux sur la carte et voyez ».
C’est le lieutenant général Arthur Dillon qui sera chargé par Dumouriez, non seulement de tenir les Islettes, mais aussi de défendre les gorges de l’Argonne, de Vienne-le-Château à Passavant. Il établit son quartier général à la Grange-aux-Bois. Il place ses troupes dans tous les villages qui bordent le cours de la Biesme, à la Chalade, au Claon, au Neufour, à Courupt, à Beaulieu. Il met au Four-aux-Moines, au dessus de Neuvilly, une compagnie franche.
A Futeau, le premier bataillon d’Eure et Loir a pour lieutenant colonel en second un dénommé Marceau, qui, devenu général, battra de nouveau les Autrichiens en 1795, à Neuwied. Aux Islettes, Dillon concentre ses troupes en différents points : le village, la verrerie, la côte de Biesme. L’Ouest de Passavant, à Chatrice et à Villers-en-Argonne, est de même gardé par les troupes venues de Reims et de la Mayenne. Gobent, chef d’état major et officier de génie, se charge de fermer les chemins forestiers par des barricades d’arbres abattus. Sur tout le front des Islettes, un retranchement est défendu de la même façon. Il va parfaire son dispositif en faisant hisser sur les hauteurs, par des soldats et des hommes des Islettes, vingt pièces d’artillerie réparties sur deux petites redoutes. Le lieu-dit s’appelle maintenant l’affùt des canons. Et puis il y a la Biesme, gonflée par des retenues d’eau, qu’il faudrait franchir sur une chaussée, sous le feu des canons. Un député envoyé en mission, après avoir examiné le dispositif, déclarait : « L’artillerie bien servie peut faire du haut du retranchement le feu le plus meurtrier : ce qui fait croire que quinze mille à vingt mille hommes peuvent défendre ces gorges contre une avancée doublement forte ».