En cette fin du mois d’août 1944, les armées allemandes se replient en désordre. Emile Baillon a écrit : « Les uns à pied, les autres dans toutes sortes de véhicules ou à bicyclette et même avec des motos sans moteur ». Ma mère me racontait : certains trainaient une poussette d’enfant avec leurs affaires.
Ce mardi 29 août, les Allemands quittent les maisons de la rue Philippe de la Force qu’ils occupaient. Ils ne savent que faire du matériel : le laisser, l’emporter, ou encore le détruire en le brûlant. Et les ordres et les contrordres vont se succéder.
Au cours de notre soirée donnée en 2004 avec la participation d’Hervé Chabaud, les Ménéhildiens nombreux à l’hôtel de ville racontaient ce qu’ils avaient vu. Et Raymond Collin allait évoquer cette difficile soirée du 29 août :
" J’ai quatre-vingt-sept ans. A l’époque, j’en avais vingt-sept. Je travaillais sur Sainte-Ménehould. J’habitais rue Philippe de la Force. Pendant des jours, on a vu des camions allemands qui rapatriaient du matériel, d’après ce que l’on nous a dit. C’était un dépôt de matériel de transmissions qui venait de Chartres et ils ont entassé tout dans les maisons et principalement dans la maison de Pierre Autier, qui est la sous-préfecture maintenant. J’habitais où exerce maintenant le docteur Bresson, une maison qui appartenait à Pierre Menu. J’ai donc vu les navettes des Allemands. J’ai vu le matériel qu’ils amenaient. En tant que militaire, j’avais été dans les transmissions françaises et le matériel qu’ils amenaient était bien supérieur à celui que l’on avait. Ils ont amené également des lingots de métaux, principalement de l’étain,
lingots qui pesaient au moins cinq kilos pièce.
Il y en avait des dizaines, voire des centaines. Tout ce matériel avait d’abord été stocké avec les câbles dont parlait tout à l’heure Serge Walch. Tout avait été entassé dans les maisons, dans l’ex-prison qui se situait à côté de l’hôtel de ville et dans la cour de l’école des filles. Le jour où ça a déménagé, j’étais au poste de guet près de la statue de Sainte-Ménehould. J’étais membre de la défense passive et on a observé, j’ai vu, on était au courant d’ailleurs, que les Allemands avaient fait une tractation en disant : « Si vous déménagez le matériel, on ne brûlera pas les maisons ». Ea m’intéressait parce que j’y avais tout mon matériel personnel. J’ai vu transporter, mais je voyais également les navettes et les Allemands qui tournaient autour. Je pensais que cela allait très mal se terminer. Heureusement, cet officier dont on vient de parler avait quand même un sens humain, puisque c’est lui qui avait proposé de déménager le matériel pour ne pas brûler les maisons. Alors, quand les S.S. sont arrivés, on a mis le feu au truc. Ils ont disparu. J’étais redescendu sur la place avec Maurice Renard, artisan électricien, qui parlait impeccablement l’allemand. Il a discuté avec l’officier et lui a proposé : « Donnez-moi votre arme, on va vous prendre sous notre protection puisque vous avez fait preuve d’humanité. » L’officier lui a répondu « Non, je ne peux pas faire ça ». Il a remis son révolver dans sa poche et il est parti en direction de la gare."
Emile Baillon, dans son livre d’histoire locale, évoque aussi cet événement (page 185, édition originale) :
« Ce même jour, vers 18 heures, les Allemands avaient donné l’ordre dans tous les abris, à tous les hommes valides de se rendre place de l’hôtel de ville pour transporter de la prison et des immeubles de la rue de La Force, tout leur matériel de bureau, de radio, de téléphone, etc.. sur la place et dans l’école des filles. Les hommes, à peine rentrés dans les abris, un second ordre vers 20 heures leur demandait de retourner place de l’hôtel de ville, mais ce n’était qu’une fausse alerte et chacun retournait à nouveau dans les abris. »
Le lendemain, mercredi 30 août, au matin, d’épais nuages de fumée noire envahissaient la place de l’hôtel de ville : les Allemands avaient mis le feu à tout ce qui avait été entreposé sur la place. Une photo prise par un téméraire photographe et souvent reproduite montre la fumée devant l’hôtel de ville.
Mais des bâtiments devaient aussi périr dans les flammes : toutes les maisons côté gauche de la rue Philippe de la Force, dont la maison Autier qui deviendra un jour sous-préfecture, et l’hôtel moderne près de la gare.
Maurice Jaunet et son frère Camille vont d’un incendie à l’autre avec l’autopompe. Pour les bâtiments rue Philippe de la Force, il n’y a plus rien à faire mais les deux hommes vont rencontrer un major allemand. Maurice Jaunet raconte :
« Celui-ci avait un revolver dans sa main droite. Arrivé à trois mètres de lui, je le priai de bien vouloir mettre son arme dans sa poche. Il me dit que je n’avais rien à craindre et qu’il n’avait pas l’intention de se suicider et ajouta : Je suis déshonoré, ces incendies ont été mis malgré mon opposition formelle. »
On n’ose même pas imaginer ce qui se serait passé si ce major avait donné des ordres pour mettre le feu L’hôtel de ville avait souffert, avait perdu son horloge, mais était sauvé.
Ce major fut tué devant la gendarmerie ; c’était le début de l’après-midi et peu après les Américains traversaient la ville.
John Jussy
A lire : Sainte-Ménehould et ses environs par Emile Baillon, réédition .Ed. « Le livre d’histoire ».
L’horloge dans le toit de la mairie a disparu. Butin de guerre ?