Connaissance du Patrimoine Culturel Local
Le Petit Journal
de Sainte-Ménehould
et ses voisins d'Argonne
Edition régulière d'un bulletin traitant de l'histoire, des coutumes et de l'actualité.


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Saint Rouin, l’ermite de Beaulieu.

   par John Jussy



C’est à saint Rouin que l’on doit l’ermitage qui porte son nom. Mais son histoire écrite dans divers ouvrages laisse des interrogations.

Louis Brouillon, dans son guide de l’Argonne (début XXe siècle) raconte l’histoire de saint Rouin :
« Rouin, Rodingus, était prêtre originaire d’Écosse, où il naquit, croit-on, en 594. Il vint en France en 626, résida d’abord à l’abbaye de Tholey, puis à Verdun, et se retira, vers 640, dans les solitudes de l’Argonne. »
Rouin, nommé aussi Rodingus ou encore Chraudingue, était originaire d’Écosse ou d’Irlande, la 2ème hypothèse étant la plus vraisemblable.
Et voici son histoire, contée par divers auteurs ou écrite sur internet :

"Rouin se serait d’abord rendu à Tholey (en Sarre) et y devint abbé avant de partir pour Verdun. Puis il se retira avec l’accord de saint Paul, évêque de Verdun, dans les solitudes de l’Argonne, en un lieu qui était du diocèse de Verdun.
Il était accompagné d’un religieux nommé Étienne, pour les uns, de deux acolytes pour les autres.

L’ermitage au début du XXe siècle


Rouin choisit pour s’établir un sommet escarpé, sauvage et désert, nommé Vaslogne, lieu aujourd’hui appelé Beaulieu. Il défriche, coupe les arbres, construit des cabanes… Oui mais voilà, Rouin n’avait demandé d’autorisation à personne.
Des gens, au service du seigneur du lieu, Austrèse ou Austrésius, seigneur d’Autrécourt, demandèrent aux saints hommes de quitter les lieux. Rouin répondit :
« Nous n’avons aucun dessein, nous souhaitons seulement nous consacrer à Dieu et créer sur ce rocher un ermitage. »

Cela ne put satisfaire Austrésius qui « chassa les intrus de leur logis, et après les avoir attachés à des arbres, leur fit distribuer une grêle de coups de fouet » (Brouillon). La moindre des peines puisque le seigneur aurait pu les faire pendre comme c’était la coutume. La justice était parfois expéditive.
Alors Rouin partit pour Rome se recueillir sur les tombes des apôtres. Pendant ce temps, Austrésius connut les pires malheurs : son corps fut envahi par une horrible lèpre, sa femme et ses enfants, sauf sa fille Bana, moururent et ses riches troupeaux furent anéantis par la peste. (Histoire de saint Rouin, internet site de Beaulieu). Et voici le pire : selon un livre nommé « La légende dorée de l’Argonne » : Austrésius, au surplus, fut averti de la signification du coup qui le frappait par l’inscription miraculeuse du nom Rouin sur la main de Bana. Brouillon, plus prudent, parle « d’un stigmate ineffaçable dans lequel des personnes expertes déclarèrent lire le nom de Rouin ».

Rouin était à Rome et, en prières dans l’église, il entendit la voix de saint Pierre qui lui disait : « Retourne dans ton désert ; tu as été battu de verges, mais le christ ne l’avait-il pas été plus que toi dans sa douloureuse passion ? »
L’ermite retourna donc sur son rocher, non sans accomplir quelques miracles sur son passage (voir page suivante).

En Argonne, Austrésius et sa fille Bana, mis au courant de ces événements remarquables, allèrent humblement au devant de Rouin et de son compagnon. Rouin qui, peut-on lire, n’avait pas de rancune, guérit Austrésius et sa fille. Le seigneur reconnaissant fit don à l’ermite de ce coin de forêt et participa lui-même avec d’autres fidèles qui affluaient à la construction du monastère.
Le monastère ne comptait pas moins de 24 chapelles et les logements des religieux. Rouin avait mis son église sous l’invocation de saint Maurice [1] Mais Rouin n’avait pas de reliques du patron de son église ; il fallait y remédier.

Les reliques de saint Maurice.
Rouin partit à Rome pour avoir l’acte d’approbation de sa fondation et d’obtenir du pape la confirmation des dons qui lui avaient été faits.
Au cours de ce voyage retour, Rouin se serait arrêté au couvent d’Augune, dans le valais Suisse, là où l’on conservait les ossements de saint Maurice. C’était d’ailleurs dans cette région, près de Martigny, que Maurice avait connu sont martyre.
Mais Rouin était impatient d’emporter les reliques. Là, les versions diffèrent suivant les écrits :
Livret « Légende de l’Argonne » : « Il s’adresse secrètement au prévôt de l’abbaye, le touche par son éloquence et lui promet de riches offrandes. Ce prévôt, ou plus exactement un peu scrupuleux gardien de l’église, céda. La nuit suivante, ils allèrent au tombeau du martyre et Rouin reçoit l’os de l’avant-bras de saint Maurice ; puis les deux pèlerins s’empressèrent de quitter le monastère »…
Guide Argonne de Chenet :
Roding, au retour d’un voyage à Rome, aurait dérobé, dans le couvent d’Agaune en Valais, les ossements de l’un des bras du saint militaire qui furent longtemps exposés en l’église de Beaulieu.
Guide de Brouillon :
« Rouin, emporté par son zèle, aurait dérobé, la nuit, un des bras du célèbre chef de la légion thébaine, et se serait enfui à la faveur des ténèbres. » Et il ajoute : "Ce récit ridicule n’est vraisemblablement qu’une fable destinée à faire passer pour authentiques de prétendues reliques de saint Maurice qu’on exposait à Beaulieu à la vénération des fidèles.

Ne jugeons pas, ces faits étaient dans une autre époque et le livret légende poursuit : Il faut vivre avec lui dans son époque. Il est un moine du VIIIe siècle et il se manifeste selon les gestes du temps".

À l’ermitage.
L’abbaye de Beaulieu atteignit en peu d’années une prospérité extraordinaire. Le roi Childéric II [2] la protégea et fit exemption de toute servitude et redevance – [3]. Et maintenant Rouin était à la tête de terres, de bois, d’un monastère où, dit-on, vivaient pas moins de 700 religieux.
Mais Rouin regrettait le calme, la solitude ; il se retira alors dans la gorge de Bonneval, où est aujourd’hui l’ermitage et la chapelle moderne, mais retournait à la messe à l’abbaye dirigée par Étienne. Il y avait aussi une fontaine et c’est là que Rouin baptisa la belle Andovère, fille de Bana et de Robert le Noir. Cette fontaine a fait l’objet de nombreux pèlerinages au cours des siècles qui ont suivi.

Rouin aurait vécu très vieux, 117 ans disent certains. Le jour de sa mort, les moines affluèrent et Rouin demanda le viatique [4] ; il mourut dans l’ermitage même un 17 septembre, d’une année incertaine, peut-être en 680 (ce qui ferait 86 ans).
Le corps de Rouin fut porté à Beaulieu mais, devant la grande affluence de fidèles, on ne put l’inhumer que trois jours plus tard. Rouin reposa dans la grande église du monastère devant l’autel de saint Jean.
Son corps, puis ses reliques, objets de dévotion, connurent des fortunes diverses.
Mais ceci est une autre histoire…

Le couvent d’Agaune dans le Valais Suisse :

Nous avons contacté l’abbaye d’Agaune et demandé si dans l’histoire de cette abbaye on faisait mention de Rouin. Olivier Roduit, chanoine et procureur de l’abbaye nous a répondu : « Hélas, je ne vois pas de trace de Rouin. »
Cette abbaye vient de fêter ses 1500 ans. Mais Olivier Roduit nous a fait découvrir un livre de J. Bernard de Montmélian : « Saint Maurice et les légions thébéennes ». Ce livre de 1888 dresse la liste des abbayes dédiées à Saint Maurice, dont celle de Beaulieu-en-Argonne. Un livre donnant de précieux renseignements.
On en reparlera.

Photos de la Basilique extérieure, © Séverine Rouiller.



Dans le prochain numéro : les miracles attribués à saint Rouin.


Notes

[1– Maurice d’Agaune (il y a plusieurs Maurice) était un centurion à la tête de la légion thébaine. Chrétien, il refusa d’exécuter d’autres chrétiens dans cette région de Suisse. L’empereur Dioclétien fit exécuter Maurice et ses 6500 hommes..

[2– Childéric II était roi mérovingien, roi d’Austrasie et roi des Francs de 662 à 675. Il mourut assassiné avec sa femme. L’Austrasie était un royaume franc s’étendant sur le bassin du Rhin, de la Moselle et de la Meuse. Beaulieu était dans ce territoire.

[3La redevance seigneuriale était la somme donnée en espèces ou en nature au seigneur.

[4– Le viatique est la nourriture ou la somme d’argent donnée pour un voyage. Dans la religion chrétienne, c’est l’eucharistie.

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