Vous connaissez tous, au moins de réputation, le fameux pied de porc à la Sainte-Ménehould. Les plus gastronomes d’entre vous ont peut-être même déjà testé la recette de Mathieu Fourreau du Cheval Rouge : la salade d’écrevisses, chèvre d’Argonne et croustillants de pied de porc à la Sainte-Ménehould : https://www.youtube.com/watch?v=Zm9yKdPggOo.
Mais pour cela, il faut les ingrédients de base et parmi ceux-ci, il y a le cochon. Jadis la glandée permettait de nourrir ces animaux si toutefois le seigneur du lieu autorisait les paysans à parcourir leurs forêts à la recherche des précieux fruits des chênes. Ce « privilège » était particulièrement apprécié. Par exemple, en 1605, les biens d’Antoinette d’Anglure à Charmontois furent saisis et vendus à la criée. Les manants et habitants de Charmontois-le-Roi se sont opposés, mais sans succès, à cette vente afin d’être « conservés et maintenus es droits de pasturaige, glandée, d’abreuver leur bestial en l’estang dudit Charmontoys et de pescher en la rivière dudit lieu ». Nous avons une illustration de cette pratique dans la région avec le « chapiteau aux cochons » de l’église du château à Sainte-Ménehould.
La carte postale de Villers-en-Argonne, du début du XXe siècle, nous montre le porcher du village emmenant son troupeau.
Une autre carte postale de la même époque, mais à Charmontois-l’Abbé, montre également le porcher rassemblant toutes les truies du village pour les mener aux champs.
Pour obtenir le titre de porcher (ou de pâtre) communal, il fallait passer devant
Monsieur le Maire et obtenir l’accord du conseil.
À Charmontois-l’Abbé, le 8 janvier 1857, le conseil municipal s’est réuni à la salle d’école, en présence d’une grande partie des habitants de la commune, afin d’adjuger la garde du troupeau communal des truies.
L’importante délibération comporte neuf articles. Il y est fait mention que le gardien sera tenu de posséder deux mâles, propres au service de la troupe, dont l’un sera métissé Anglais, l’autre métissé Normand. Ces mâles devront « être reçus par nous » (c’est le maire qui parle !) et devront être bien nourris de manière à ce qu’ils soient bons reproducteurs. Dans le cas où la majorité des habitants se plaindraient de l’un ou des deux mâles, le gardien sera obligé « sur notre injonction » de remplacer le ou les mâles refusés. Le troupeau de truies devra sortir tous les jours de l’année mais le gardien ne devra jamais faire sortir ou rentrer son troupeau pendant les offices divins, les dimanches et jours de fêtes d’obligation. En cas de plaintes « qui seraient reconnues justes et véritables », le gardien aurait une retenue sur son salaire de 1 franc par truie pour l’année ; cette somme serait versée dans le tronc de l’église afin d’aider la Fabrique à satisfaire ses dépenses obligatoires.
Note : La Fabrique, au sein d’une paroisse catholique, désigne un ensemble de « décideurs » (clercs et laïcs) nommés pour assurer la responsabilité de la collecte et l’administration des fonds et revenus nécessaires à la construction puis à l’entretien de l’église et du mobilier de la paroisse.
Vous le saviez déjà, « dans le cochon, tout est bon », même pour les finances de l’église !
Finalement, le conseil municipal de Charmontois-l’Abbé décida d’attribuer le titre de pâtre communal à un dénommé Pierre Martinet qui accepta les conditions et le prix de 6 francs par truie pour l’année. En 1862, Nicolas Meyer,
manouvrier prit cette fonction moyennant la rétribution mensuelle de 55 centimes pour chaque tête de bétail qui lui sera confiée.
Le nombre de cochons dans le village était important, on en recensait 265 pour Charmontois-l’Abbé en 1827 et 224 pour Charmontois-le-Roi. Le registre de recensement de Charmontois-l’Abbé de 1881 indique la présence de quatre marchands de cochons : Adolphe Bristuille, Memmie Limal, Ovide Périnet et Numa Nicolas.
Celui de Charmontois-le-Roi, la même année, mentionne deux marchands de cochons : Pierre Nicolas Périnet et Jean Louis Bénoni Jolly. D’autres leur succèderont.
Finalement, la renommée culinaire des meilleurs restaurants argonnais dépendait de leurs fournisseurs, ces paysans gagne-petit des villages environnants.
On leur devait bien ce petit hommage !
Jean Vigouroux