Les Prussiens avaient franchi la frontière pour délivrer Louis XVI ; la victoire de Valmy leur fut fatale ; outre leur moral qui était au plus bas, les Prussiens avaient faim et soif !
Goethe a raconté dans son livre ’La Campagne de France" la vie des soldats prussiens en ce mois de septembre 1792. Écrit dans un ordre chronologique, le livre parle au fil des pages du mal qui rongeait les Prussiens : la faim, la soif. Extraits :
17 septembre :
Après avoir laissé Grandpré derrière nous, nous arrivâmes à l’Aisne et, l’ayant traversée, nous coupâmes près de Vaux-les-Mouron.
Sur l’autre bord de la rivière, qui regardait le soleil, s’étalaient des vignes bien tenues ; dans les villages et les granges qu’on visitait, on trouvait assez de nourriture pour les hommes et les chevaux ; par malheur les blés n’étaient pas battus et les moulins manquaient également ; les fours étaient rares aussi, et véritablement nous commencions à subir le supplice de Tantale [1].
Les ennemis, après avoir pris Verdun se heurtèrent à la côte de Biesme, bien défendue, et arrivèrent à progresser par le défilé de Grandpré.
19 septembre, veille de la bataille :
Les émigrés me donnèrent l’exemple d’une bonne précaution culinaire. Ils étaient assis autour d’un grand monceau de cendres chaudes dans lequel plus d’un échalas était consumé en pétillant. Ils avaient eu l’adresse de recueillir promptement tous les œufs du village, et c’était un objet fort appétissant que ces œufs dressés les uns à côté des autres dans le monceau de cendres, et qu’on retirait à mesure qu’ils étaient cuits à point.
Les émigrés, les nobles qui avaient quitté la France, combattaient à côté des Prussiens ; ils avaient ravagé les vignes alors présentes en Argonne, brûlé les échalas, et étaient réduits à manger des œufs.
21 septembre, lendemain de la bataille :
« Nous avions les tentes, les voitures, les chevaux, mais pas la moindre nourriture. Au milieu de la pluie, on manquait d’eau ; quelques étangs étaient déjà corrompus par les cadavres de chevaux. Je ne comprends pas pourquoi, Paul Goëtze recueillait très soigneusement l’eau de pluie amassée sur le cuir de ma voiture. Je vis de même des gens qui, pour apaiser leur soif insupportable, puisaient l’eau dans les traces laissées par les pieds des chevaux. »
Il n’y a pas de rivière à Valmy ; les plus proches cours d’eau sont l’Auve, marécageuse, et au nord, la Bionne. Mais il y avait des étangs entre le château de Braux-Sainte-Cohière et la route de Châlons-Menou (il reste l’étang du roi).
22 septembre :
Les hommes ont trouvé une armoire avec à l’intérieur… un livre de cuisine.
« Et tandis que le meuble, mis en pièces, flambait au feu, on lisait les excellentes recettes, et, cette fois encore, la faim et la convoitise étaient portées jusqu’au désespoir par l’imagination excitée. »
24 septembre :
« Le plus horrible temps du monde fut en quelque façon éclairci par la nouvelle qu’un armistice était conclu et qu’on avait du moins la perspective de pouvoir souffrir et jeûner avec quelque tranquillité d’esprit. »
Les jours qui ont suivi la bataille, les armées étaient encore sur le terrain et Prussiens et Autrichiens ne quitteront le pays que le 1er octobre.
27 septembre :
« Une mesure de précaution un peu singulière pour combattre la famine fut mise à l’ordre du jour : on devait battre aussi bien que possible les gerbes d’orge qu’on trouverait, faire bouillir le grain dans l’eau jusqu’à ce qu’il crevât, puis essayer d’apaiser sa faim avec cette nourriture. »
Les Prussiens pillent la région, cherchant de la nourriture et se chauffant avec tout le bois trouvé, échalas ou portes de granges.

28 septembre :
« On voyait dans le lointain deux chevaux embourbés et, comme ils étaient chargés de provisions et d’autres choses nécessaires, on s’empressa d’aller à leur secours… on les amena sur le champ au régiment de Weimar (le duc de Saxe-Weimar). Les charretiers protestèrent ; les vivres étaient destinés à l’armée autrichienne. »
La coalition ennemie était composée de Prussiens et d’Autrichiens (80 000 hommes) et des émigrés (20 000 hommes) et des nobles français qui avaient fui la Révolution.
Enfin, les hommes vont pouvoir manger : les chariots contiennent « du beurre en tonneau, des jambons et d’autres bonnes choses… du tabac et de l’eau de vie ».
Et ce qui est étonnant, c’est que certaines denrées étaient vendues ; Goethe écrit : « Il était aussi arrivé de l’eau de vie ; on s’en pourvut également si on payait volontiers un écu la bouteille. »
La polémique des raisins :
On raconte volontiers que les Prussiens avaient attrapé la diarrhée en mangeant les raisins verts dans les vignes. Le camp de la Lune, où étaient les ennemis, a été appelé le camp de la crotte…
En vérité, le mal dont souffraient les hommes était une dysenterie épidémique, nommé aussi « le mal prussien » apporté par les ennemis ; c’est ce qu’ont écrit les médecins chargés d’enquêter pendant l’hiver 1792. Tout le monde était malade, y compris des civils de la région. Mais si les Français se soignaient facilement, les Prussiens, dans le froid, la pluie, sans nourriture, sans eau potable (des hommes recueillaient de l’eau de pluie) avaient du mal à guérir.
Certes, les Prussiens avaient dû manger les raisins, comme ils mangeaient tout ce qu’ils trouvaient d’ailleurs, mais 80 000 hommes dans les vignes…
Un échange très étonnant :
Goethe raconte anecdotiquement un fait étonnant : les Français partageant leur pain avec les ennemis…
Le 24 septembre, les deux armées observaient l’armistice ; les avant-postes s’étaient entendus pour que ceux qui avaient le vent et la pluie au visage auraient le droit de se retourner et de s’envelopper de leurs manteaux sans avoir rien à craindre.
Goethe écrit : « Bien plus, les Français avaient encore quelques vivres ; les Allemands étaient dépourvus de tout ; leurs ennemis partagèrent avec eux, et l’on devint toujours meilleurs camarades. »
Mais les Français en profitèrent pour donner aux ennemis des feuilles imprimées qui annonçaient aux Allemands les avantages de la liberté et de l’égalité, ils offraient amitié et hospitalité.
Des paroles qui ne remontaient pas le moral des hommes qui avaient faim, qui étaient affaiblis par l’épidémie et qui ne savaient plus ce qu’ils faisaient là.
John Jussy