La fuite à Varennes fut un échec, la famille royale rentra à Paris le 23 juin 1791,
et Louis XVI, toujours roi, devait subir une humiliation de plus quand l’Assemblée décida de récompenser ceux qui avaient participé à l’arrestation de la famille royale. Comme le dit André Castelot dans son livre « Le rendez-vous de Varennes », une atroce ironie se dégage de ce décret royal du 18 août 1791.
Il fallait donc récompenser, dédommager tous les acteurs de cette fuite à Varennes. Deux millions de livres avaient été prévus pour cela.
Le « Journal général de l’abbé Fontenai » du 20 août nous donne la liste complète. Si des noms sont connus, d’autres n’ont pas été mentionnés dans les livres des historiens. Reste à chaque lecteur de se faire une idée.
Décret royal :
4 - Qu’il sera payé sur les deux millions destinés à récompenser des services rendus aux citoyens ci-après dénommés, les sommes qui vont être déterminées :
- Savoir au sieur Drouet, maître de poste à Sainte-Ménehould, 30 000 livres (C’est lui qui touchera la plus grosse somme)
- Au sieur Sauce, procureur de la commune de Varennes, 20 000 livres. (C’est chez M. Sauce, épicier et procureur, que la famille royale a passé la nuit à Varennes)
- Au sieur Bayon[1), commandant de bataillon de la garde parisienne, 20 000 livres.
- Au sieur Guilhaume, commis de district de Sainte-Ménehould, 10 000 livres. (On remarquera l’orthographe du nom de Guillaume)
- Au sieur Leblan aîné, aubergiste à Varennes ; Paul Leblan, orfèvre ; Thévenin ; Devilette, greffier du juge de paix ; Justin Georges, capitaine de grenadiers ; Coquillard, orfèvre ; Ponsin(2), Garde National ; Roland, major de la Garde Nationale ; Etienne de Cheppy ; Mangin, chirurgien de Varennes ; Bedu, major ; Carré, colonel de la Garde Nationale de Clermont ; Fénaux(3), ancien fourier au régiment du Limousin et Garde Nationale de Sainte-Ménehould ; à chacun la somme de 6 000 livres, qu’il sera payé par le trésor public sur les deux millions. (Garde Nationale est écrit avec des majuscules ; la Garde Nationale était une milice citoyenne française. Au début du XIXe siècle, il y avait dans la ville encore 481 gardes nationaux)
- Aux sieurs Regnier de Montblainville, Dehou, Drouet de Montfaucon ; Marie Barthe, gendarme à Varennes ; Peuchès, ancien Fourier du régiment de Belzance, garde national à Varennes, et Le Pointe(4), gendarme à Sainte-Ménehould, à chacun la somme de 3 000 livres.
5- Que le sieur Veyrat(4), marchand à Sainte-Ménehould, recevra ainsi que le sieur Legay(4), officier de la Garde Nationale de la même ville, une somme de 12 000 livres.
6- Que la veuve Collet(4) de Villers-en-Argonne recevra la somme de 3 000 livres ; le sieur La Baude, frère du sieur La Baude, assassiné, la somme de 2 000 livres.
7- Au sieur Laniau(5), gendarme à Clermont, 600 livres.
8- Au sieur Pierson, gendarme surnuméraire, 400 livres.
À la lecture de cette liste de noms, on se demande pourquoi le maire de la ville n’a pas reçu d’argent. Et pourtant, c’est bien la municipalité qui avait décidé d’envoyer deux cavaliers à la poursuite des voitures. On sait aussi que si Drouet a été recherché pour régicide, le maire et ses conseillers n’ont jamais été inquiétés. Notons que Drouet, à l’assemblée, a voté la mort de Louis XVI et que le maire Dupin de Dommartin était, contrairement à ce que l’on pourrait croire, un royaliste.
Mais les officiers municipaux recevront… une lettre pour leur dire merci.
- Enfin, que le président sera chargé d’écrire une lettre particulière de satisfaction, au
directoire du district de Clermont et aux officiers municipaux de cette ville, ainsi qu’à ceux de Sainte-Ménehould.
Mais les récompenses n’étaient pas que des sommes d’argent :
- Qu’il sera donné au nom de la nation, à la commune de Varennes, deux pièces de canon et un drapeau aux trois couleurs portant cette inscription :
« La patrie reconnaissante à la ville de Varennes », un fusil et sabre à chacun des Gardes Nationaux de cette ville.
– Qu’il sera donné également une pièce de canon à la ville de Clermont, et 100 fusils pour être attribués aux Gardes Nationales du district ; 500 fusils et une pièce de canon à la ville et aux Gardes Nationales du district de Sainte-Ménehould.
Sainte-Ménehould avait donc hérité d’un canon.
Notes :
(1) - Bayon : nom retrouvé dans « Louis XVI » de J.C. Petitfils. Le capitaine Bayon arriva à Varennes à 5h ½, porteur d’un ordre de La Fayette. Il aurait donné le mot « À Paris ».
Quelques noms retrouvés dans le livre « Le rendez-vous de Varennes » d’André Castelot.
(2) – Justin, Ponsin, Coquillard et les frères Leblan étaient des gardes nationaux. Ils accompagnaient le procureur Sauce quand celui-ci a arrêté la voiture où se trouvait la famille royale.
Quelques noms retrouvés dans le livre de Brouillon (début XXe siècle)
(3) – Fenaux. Le garde national Fenaux avait, à lui seul, au niveau du pont de pierre, empêché six dragons de rejoindre leurs camarades.
(4) – Legay, Lepointe, Collet, Veyrat. Une méprise, une fusillade, des livres…
Drouet et Guillaume étaient partis vers 9 h du soir à la poursuite des voitures. Vers 10 h, l’inquiétude se répandit dans la population : fallait-il laisser partir seuls les deux hommes dans une entreprise aussi périlleuse ? On décida d’envoyer trois personnes à leur secours. Legay, ancien contrôleur du grenier à sel, Lepointe et Collet (de Villers), deux gendarmes.
Et voilà nos trois cavaliers qui s’élancent. Mais à la sortie de la ville, près du pont Rouge, un escadron de gardes nationaux montait la garde, et personne ne les avait prévenus.
Dans l’obscurité, croyant que les cavaliers étaient des dragons en fuite, les gardes nationaux, tout en criant « on est trahi » firent feu : Collet fut mortellement blessé, Legay eut deux doigts arrachés et Lepointe, plus chanceux eut deux trous… dans son chapeau. Et dans l’affolement, Veyrat, un des gardes en poste, reçut une balle et eut la jambe cassée.
Indemnités : Collet, mort, 3 000 livres pour sa veuve.
Legay, deux doigts arrachés, 12 000 livres.
Veyrat, jambe cassée, 12 000 livres.
Lepointe, chapeau troué, 3 000 livres.
Pour la veuve Collet, l’indemnité fut bien maigre : 3 000 livres, la même somme que pour un chapeau troué ! La fuite à Varennes fit donc plusieurs morts : Collet et La Baude, assassiné. Mais qui était cet homme ?
(5) – Le gendarme Leniau avait été envoyé par le directoire du district à Varennes pour…. Mais Drouet était déjà là ! Il avait aussi un compagnon : Jean Bertrand.
Autres indemnités :
Mercredi 22 juin, midi : la famille royale entre à l’Hôtel de ville de Sainte-Ménehould. On leur sert un repas, du vin, quelques cerises. L’indemnité sera de 73 livres.
Les « informateurs oubliés » :
Deux acteurs du drame de Varennes, pourtant personnages importants, ne semblent pas être dans la liste des récompensés : Farcy à Sainte-Ménehould et Destrez à Varennes.
À Sainte-Ménehould, Drouet n’a que des soupçons, le peuple a des doutes. Jean-Charles-Edme Farcy, officier municipal, quitte le conseil et va demander à Drouet ce qu’il a vu. Farcy, qui a vu le roi à Versailles fait le rapprochement avec la description faite par le maître de poste. Les doutes sont alors levés…
Farcy deviendra maire fin 1791, quand Dupin de Dommartin aura démissionné.
À Varennes, la famille royale se trouve dans la
maison du procureur Sauce, toujours presque incognito. André Castelot raconte :
« Sauce, qui s’était absenté, surgit par le petit escalier. Il est suivi d’un homme qu’il est allé chercher. C’est le juge Destrez, mari de la fille d’un officier de la Bouche de la reine et connaissant fort bien Louis XVI. Il s’avança vers le roi et dit : »Bonjour sire".
Louis XVI ne put que répondre : « Oui, je suis votre roi ». Le voyage était fini.
Le bon mot :
Le général La Fayette, haranguait la foule et déclarait :
« Mes enfants, la liste civile de Louis XVI était de 25 millions. Tous les Français héritent aujourd’hui d’une livre de rente ».
En 1789, la France comptait 27 800 000 habitants. La Fayette ne comptait-il pas les enfants ?
La femme du procureur Sauce aurait dit : « Quand on a une pension de 25 millions de livres, on la garde… »
John Jussy