Connaissance du Patrimoine Culturel Local
Le Petit Journal
de Sainte-Ménehould
et ses voisins d'Argonne
Edition régulière d'un bulletin traitant de l'histoire, des coutumes et de l'actualité.


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Le début d’une belle histoire.

   par Nicole Gérardot



Le 24 novembre 1944, Rudolf Schenk est incorporé dans la Wehrmacht. Il vient d’avoir 17 ans. Après une préparation militaire de 3 mois, il arrive sur le front de la Kyll.
Il raconte :
Les chars américains avancent et mitraillent. Comme moi mes compagnons ont tout juste 17 ans. Nous avons faim et nous avons froid. Notre équipement en chaussures se compose d’une paire de bottes en caoutchouc et de « russes ». Notre moral est au plus bas. Combattre pour la patrie, vaincre et mourir ?
Nous savons que la guerre est perdue. Ce que nous espérons, c’est de nous en sortir et être faits prisonniers.
Arrive l’ordre de poursuivre la retraite vers l’ouest. Arrivés en vue d’un village, nous faisons halte au bord d’un chemin. Un soldat part en éclaireur voir si les Américains l’occupent déjà. Bonne occasion pour nous reposer dans les buissons voisins après les fatigues des derniers jours. Je m’endors rapidement et c’est par un coup de crosse de fusil dans les côtes que je suis réveillé. Devant moi se tient un grand Américain qui me crie « hands up ». Ce que je fais rapidement.
Je crois que j’étais soulagé, j’étais prisonnier et vivant ! La suite des évènements m’était égale.
Je rejoins avec d’autres soldats un village et le lendemain, nous prenons la direction de l’ouest. Les prisonniers sont de plus en plus nombreux. Après plusieurs jours de marche, nous arrivons à Arlon, en Belgique. Le jour même, nous sommes enfermés dans un train qui prend la direction du sud-ouest pour arriver à Stenay, un célèbre camp de passage. Là, je subis un interrogatoire sévère, car ils recherchent les SS pour les séparer des autres. Puis je reprends le train et arrive à Mailly-le-Camp où se trouvent déjà environ 20 000 prisonniers. Tout le monde est content d’être arrivé, car le voyage a été pénible.
Dans le camp, il y a des tentes et des paillasses, mais pas de couvertures ! Heureusement, le mois de mars 1945 est beau et chaud ! Chaque prisonnier reçoit une boîte en fer et une cuiller. (ni fourchette, ni couteau). Et il faut affronter les poux ! I l y a des opérations d’épouillage. Un infirmier nous asperge avec une grande lance.
Environ quatre semaines plus tard, on reprend le train. Cette fois en direction de l’Argonne. Des rumeurs ont couru que les plus robustes d’entre nous allaient travailler chez les Français au titre de « réparations ». Le train s’arrête à Vienne-le-Château. Nous partons à pied jusqu’à la Chalade. Chaque jour, nous allons abattre du bois dans la forêt. La nourriture est déplorable « soupe aux rutabagas » avec une pomme de terre en plus pour ceux qui travaillent en forêt. Nous mangeons tout ce que l’on trouve et beaucoup meurent de la dysenterie. Nous sommes alors sous la responsabilité des Français. Des paysans viennent au camp chercher des prisonniers pour travailler dans leur exploitation.
L’après-midi du 14 avril, on nous regroupe. Un agriculteur cherche « un homme qui sait traire les vaches ». Souvent des prisonniers disent oui, mais ils reviennent quelques jours plus tard, car ils n’ont pas la moindre idée du travail agricole.

Je sais bien traire les vaches, je me présente. Le paysan m’inspecte un petit moment et dit « je le prends ». Il choisit encore un autre prisonnier pour la culture. Notre destination est Dampierre-le-Château, un village de 180 habitants au bord de la Champagne, avec 12 exploitations agricoles, une école, un bureau de poste, deux magasins et des cafés. La moyenne des exploitations est d’environ 100 hectares, ce qui est pour nous, paysans de l’Eiffel, d’une importance inimaginable.
Le paysan chez qui nous allons travailler s’appelle Gaston de Clerc. Il est Flamand. Nous pouvons donc nous comprendre. Nous faisons également la connaissance de Mme de Clerc et de leurs deux jeunes fils.


Comme ce fut agréable la première nuit de coucher dans un vrai lit et de ne pas voir de barbelés !
La vie à la ferme s’organise. Notre journée commence à 5 heures. Eduard (l’autre prisonnier) doit soigner les 20 chevaux et moi, j’ai 11 vaches à traire. Nous sommes alors très faibles (je pèse à peine 50 kg). A chaque fois, que le premier litre de lait arrive dans le seau, j’en bois une bonne gorgée. Je m’étais dit : dans une ferme, on ne peut pas mourir de faim. Il y a aussi beaucoup de poules dans la cour, Eduard et moi nous gobons quelques œufs. Cela ne dure pas, car nous sommes très bien nourris. Notre « patron » disait : si on travaille beaucoup, on doit manger beaucoup.
Après le soin aux animaux, le travail s’organise suivant la saison.
Au village, les débuts sont difficiles, lorsque nous passons dans les rues, nous sommes souvent insultés. On peut nous reconnaître puisque tous nos vêtements portent un grand « PG » (prisonnier de guerre) sur la poitrine et sur le dos. On peut comprendre ces gens qui ont perdu un proche ou dont le mari ou le fils est encore en captivité.
Le 8 mai 1945, quelle joie pour les Français ! La guerre est définitivement terminée.
On nous crie : « Hitler Kaputt ! »

On essaie d’apprendre un peu le français, et bien sûr, les premiers mots que nous avons retenus, sont des jurons !
D’autres prisonniers arrivent au village, nous sommes huit. Souvent, nous nous retrouvons après la journée de travail. On parle du pays, de notre famille... La vie continue, c’est la moisson, puis l’automne et je n’ai toujours pas de nouvelles de ma famille. J’ai appris que mon village natal a été bombardé par les Américains, mais je n’en sais pas plus. J’ai de plus en plus le mal du pays. Je regarde souvent vers l’est dans la direction de ma patrie. Se sauver ? C’est risquer d’être repris et d’aller travailler dans les mines. Je préfère de loin le travail à la ferme. Les relations avec les gens du village s’améliorent. On a peut-être pitié de moi, je suis si jeune, j’ai eu mes 18 ans en juillet. J’apprends le français avec les enfants de la ferme. Mais l’hiver s’annonce et je n’ai toujours pas de nouvelles de ma famille. Je suis de plus en plus inquiet. Enfin, 15 jours avant le Noël 45, je reçois des nouvelles ! Plusieurs lettres et cartes arrivent en même temps. Le courrier était resté quelque part en route. Quelle joie ! Tout va bien chez moi. A partir de ce moment je souffre moins de la séparation et je passe un bon Noël. Puis vient le nouvel an. M.de Clerq a une sœur qui est veuve et qui exploite également une ferme. Cette dame a deux enfants et je passe de bons moments avec eux, on chante : « Ah, le petit vin blanc », « Je t ’attendrai », « Lili Marlène » et je suis tout surpris quand au jour de l’an, ils m’embrassent pour me souhaiter une bonne année.
Au fil du temps, je me suis aussi lié d’amitié avec les voisins de la ferme. Leur fille Germaine m’apprend à écrire le français. Je prends conscience que la guerre est une folie. Je pense alors que je ferai tout à l’avenir pour transformer cette hostilité du départ en amitié, spécialement chez les plus jeunes.
À partir de 1946, le courrier arrive régulièrement. Je reçois sans problème les lettres de mes parents, de mes deux sœurs, de mes amis et de...Gertrud, une camarade qui deviendra ma femme, six ans plus tard. Mais cela fait maintenant plus d’un an que nous sommes prisonniers et toujours pas le moindre espoir d’être libérés prochainement. J’ai souvent le cafard.
Le temps passe et l’année 1947 arrive sans rien de nouveau en ce qui concerne notre libération. Mais au printemps 1947, les choses commencent à bouger un peu du côté de la Croix Rouge. Les Français sont fortement incités à libérer leurs prisonniers de guerre.
En été nous sommes informés d’un plan dit de libération qui doit se dérouler en 10 étapes : d’abord les pères de famille ayant trois enfants, puis deux, puis un, les hommes mariés, les plus âgés, les malades, etc. Pour moi, en tout cas, je me trouve dans la dernière catégorie. En même temps, il nous est proposé de conclure un contrat de travail avec notre employeur. Nous ne sommes plus considérés comme des prisonniers mais comme des« travailleurs civils ». Nous devons toucher le même salaire que les travailleurs français. Ce qui nous impressionne le plus, c’est d’avoir un mois de congés dans notre patrie ! Je sais que de toute façon il me faudra rester encore un an en France, je décide donc d’accepter. M. de Clerq étant d’accord, nous nous sommes rendus à Ste- Ménehould le 21 septembre 1947. Adieu cet affreux vêtement avec son PG dans le dos ! Nous savons maintenant que le 21 septembre 1948 nous aurons le droit de retourner définitivement chez nous. De plus, il y a la perspective de ce mois de congés. Le fermier m’a accordé la période du 15 décembre au 14 janvier. Et nous touchons un salaire. Avec ma première paye (4500francs), ce qui représentait environ 200DM, je me suis acheté un costume.
C’est ainsi que le 15 décembre, M.de Clerq m’emmène prendre le train à Sainte-Ménehould en voiture. Enfin j’allais revoir ma patrie et retrouver les miens ! Le voyage est difficile. Je dois souvent changer de train. En Allemagne la situation n’est pas brillante. Les wagons sont dans un état misérable, les fenêtres sont cassées ou fermées par des cartons. Je suis angoissé. Comment vais-je retrouver les miens ? Qu’est-ce qui a changé pendant ces trois années ? Je n’oublierai jamais nos retrouvailles ! Ce fut une longue soirée ! La famille, les amis arrivent pour me voir. Lors de ce séjour, l’amitié avec Gertrud se transforme en un autre sentiment. C’est un Noël inoubliable qui passe bien trop vite. Arrive le jour où je dois prendre congé. Mais nous savons que dans neuf mois, je rentrerai définitivement à la maison.
Le 14 janvier 1948, j’arrive à Dampierre-le Château. Les gens du village sont d’ailleurs un peu surpris de me revoir. Les neuf mois suivants passent vite. Je parle maintenant pratiquement couramment le français. Je suis incorporé dans l’équipe de foot du village. Je vais avec eux jouer dans les villages voisins. Je vais également danser aux fêtes patronales. Je suis considéré comme un « gars du village ». Je me rends compte qu’il y a partout des gens bien, que c’est une folie de croire à la propagande d’un seul homme. De plus en plus, mon dési est de maintenir des liens d’amitié avec ces gens.
Nous sommes déjà en août 1948. M.de Clerq vient nous trouver avec une requête qu’il ne nous est pas facile de satisfaire. Il a maintenant trois fils et avec son épouse, il souhaite une petite fille. Un pèlerinage est prévu à Lourdes du 21 septembre au 3 octobre. M. et Mme de Clerq souhaitent y participer pour prier afin d’avoir une fille. Cela n’est possible que si nous nous occupons de la ferme pendant ce temps. Or notre contrat se termine le 21 septembre. C’est une décision difficile à prendre. Nous comptons depuis longtemps déjà les jours qui nous restent avant le retour à la maison. Notre famille aussi nous attend avec impatience. Mais notre fermier s’est toujours montré correct avec nous et juste. Dès le premier jour nous avons mangé à leur table, ce qui n’a pas été le cas partout. Il nous a toujours fait confiance.
Ma décision est prise et j’accepte de rester deux semaines de plus. Mes parents comprennent mon choix. Mon compagnon refuse. Je reste donc tout seul sur l’exploitation, j’en ai l’entière responsabilité. Les douze jours passent vite et M. et Mme de Clerq rentrent le 4 octobre. Ils me remercient beaucoup. J’ai même droit à un beau cadeau. J’ai le sentiment d’avoir bien agi, d’avoir rendu l’amitié pour l’amitié et la confiance pour la confiance. Je peux maintenant rentrer à la maison le cœur joyeux, deux semaines plus tard que prévu. Les adieux sont très chaleureux et je renouvelle la promesse de garder le contact et de revenir. Depuis ce temps, notre amitié s’est encore renforcée et s’est même transmise à nos enfants.
Nicole Gérardot

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Sainte-Ménehould et ses voisins d'Argonne
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