La ligne de Saint-Hilaire-au-Temple à Hagondange [1], dite ligne 5, a été voulue par les villes de Reims et Metz, passée la déception ressentie après la révélation du tracé de la ligne de Paris à Strasbourg (Ligne 4) qui passe par Nancy, Bar-le-Duc et Châlons-en-Champagne. La création de cette ligne s’inscrit dans la seconde moitié du 19e siècle, période caractérisée par l’intensification de l’industrialisation. Celle-ci se traduit notamment par la création de nouvelles infrastructures de transport qui concernent aussi bien les voies ferrées, les routes ou les canaux. La création de la ligne est évoquée pour la première fois par le préfet de Moselle, Albert Germeau, le 22 décembre 1841. La compagnie des chemins de fer de l’Est va longtemps s’opposer à ce projet qui concurrence sa propre ligne, avant d’en récupérer la concession en fusionnant avec la Compagnie des chemins de fer des Ardennes. [2] Une convention est signée le 1er mai 1863 entre le ministre des travaux publics et la Compagnie des chemins de fer de l’Est pour la concession de la ligne. Le 11 juin suivant, l’Empereur signe un décret qui approuve la convention et déclare la ligne d’utilité publique.
Le 23 juillet 1867, la section Saint-Hilaire – Sainte-Ménehould est mise en service, puis Sainte-Ménehould – Aubréville le 12 août 1869 et Aubréville – Verdun le 14 avril 1870. La section Verdun – Conflans – Jarny est achevée le 7 juin 1873, l’ensemble de la ligne est à voie unique. La section Conflans-Jarny – Hagondange est ouverte en plusieurs étapes entre 1879 et 1925. La section Saint-Hilaire – Verdun a été mise en double voie le 10 mars 1880. Après la guerre de 1914-1918, le restant de la ligne l’est également. Cette ligne dessert alors Hagondange, Conflans-Jarny, Etain, Verdun, Clermont-en-Argonne, Les Islettes, Sainte-Ménehould, Valmy, Suippes, et enfin Saint-Hilaire. La ligne a été remise en voie unique entre 1970 et 1972 depuis Verdun.
La ligne 5 contribua fortement au développement des territoires qu’elle traverse et tout particulièrement l’Argonne. En témoigne l’importance prise par la gare de Sainte-Ménehould « Sainte-Ménehould devient un nœud ferroviaire important, avec le croisement dans sa gare des lignes Verdun – Châlons-sur-Marne comme on disait alors, et de Challerange-Revigny pour l’axe nord-sud. » [3] La ligne 5 connût une période particulièrement intense au moment de la seconde guerre mondiale pour l’acheminement des troupes et du matériel sur les fronts de l’Argonne et de la Meuse. Après la seconde guerre mondiale, l’activité de la ligne ne démentit pas pour le transport des marchandises comme celui des voyageurs. Dans les années 1960, le trafic « voyageurs » est intense, alimenté en partie par les militaires des régiments de Suippes et Verdun. La disparition de ces militaires dans toute la région fut mise en avant par le Conseil Régional pour justifier la fermeture de la ligne entre Verdun et Châlons-en-Champagne.
La fermeture de la ligne
Au cours des années 1990, des cheminots en activité alertaient sur la dégradation de la ligne Châlons en Champagne – Verdun – Conflans-Jarny. En réaction à cette situation le 9 octobre 1996 se créait l’association « AUTERCOVEC » réunissant des cheminots retraités, des personnalités politiques, syndicales et associatives des départements de la Marne et de la Meuse et de Meurthe et Moselle. Son objet : agir pour le maintien et l’amélioration de la ligne Châlons/Verdun/Conflans-Jarny dite ligne 5.
La nouvelle association adresse alors une motion à tous les élus des zones desservies par les gares SNCF et la ligne 5, ainsi qu’au Président du Conseil Régional de Lorraine, au député-maire de Verdun et au Directeur régional SNCF de Metz-Nancy. Malgré toute l’action déployée par l’association et un grand nombre d’élus, la SNCF décidait d’arrêter tout trafic de voyageurs entre Châlons en Champagne et Verdun en décembre 2013.
À l’occasion du dernier aller-retour du train de voyageurs entre Verdun et Châlons-en-Champagne le 15 décembre, l’association AUTERCOVEC décide de marquer l’évènement à sa manière. Voici ce qu’en dit l’Est Républicain du 21 décembre 2013 :
« Dimanche 19h30 gare de Sainte-Ménehould. Une flambée de pétards annonce l’arrivée du train en provenance de Châlons-en-Champagne. Une fois celui-ci à l’arrêt, les passagers en descendent et s’étonnent de voir un groupe de 60 personnes sur le quai. Un accueil des plus inhabituels. Un peu plus tard, le train en provenance de Verdun arrive en gare accueillie par la même pétarade. Chose différente, certains des passagers qui en descendent portent des pancartes autour du cou. Ce sont les défenseurs de la ligne, ils reprendront le train en sens inverse pour se rendre à Verdun … De la Meuse à la Marne, de nombreuses collectivités ont manifesté leur hostilité vis-à-vis d’une décision qui empêche les utilisateurs de se rendre entre autres à Verdun. Et ce, alors que le pays s’apprête à célébrer le centième anniversaire de la 1ère guerre mondiale »
Qu’en est-il aujourd’hui ?
L’association « AUTERCOVEC » a élargi son action et s’appelle désormais « Rail Avenir » [4], mais la remise en service de la ligne Verdun – Châlons-en-Champagne – Reims par Saint-Hilaire demeure un objectif central de son action. Si la réouverture de la ligne doit se faire un jour, « Rail Avenir » l’imagine dans le contexte d’aujourd’hui, c’est-à-dire adaptée aux enjeux du 21e siècle.
Premier enjeu : la lutte contre la désertification du milieu rural. La qualité des moyens de transport est un facteur décisif dans l’attractivité et le développement d’un territoire. La disparition des moyens de transport en commun, dont la fermeture des lignes secondaires de chemin de fer fait partie, contribue au déclin des zones rurales. L’Argonne en sait quelque chose. Combien de villages aujourd’hui sont dénués de tout mode de transport en commun hormis les transports scolaires. L’investissement dans des infrastructures de transport collectif est un facteur de redynamisation incontournable.
Deuxième enjeu : la lutte contre le réchauffement climatique. On sait que le train est le moyen de transport le moins émetteur d’oxyde de carbone, sous réserve … que les wagons aient un bon taux de remplissage. Selon « Rail Avenir », le rétablissement d’un train de voyageurs entre Châlons et Verdun ne peut alors être envisagée que si ce train constitue une véritable alternative à la voiture, qu’elle soit à moteur thermique ou électrique. Autrement dit : prendre le train doit être attractif. La ligne rétablie devrait donc répondre aux besoins de transport de celles et ceux qui travaillent, qui ont besoin de se soigner, de faire des courses, d’aller au cinéma de voir des amis …, bref, répondre aux besoins liés à la vie quotidienne des habitants des territoires traversés. Pour l’association, la future ligne devrait offrir un service régulier tout au long de la journée, par exemple un train toutes les heures dans chaque sens, avec un cadencement plus élevé le matin et le soir. Plusieurs arrêts devraient être prévus entre Verdun, Châlons et Reims : Dombasle, Clermont-en-Argonne, Ste-Ménehould, Valmy, Suippes. À chacun de ces arrêts, des moyens de rabattage devraient également être prévus. En gare de Châlons, par exemple, « Rail Avenir » imagine un système de navettes coordonné permettant de joindre le centre-ville, les centres commerciaux, un service de vélos …
Quelle est aujourd’hui la probabilité que la ligne 5 soit rétablie ?
Côté négatif : - Les arguments ne manquent pas. Une partie de la voie est en très mauvais état. Les voies ont été démontées sur un certain nombre des passages à niveaux. Certains élus rêvent de transformer certains morceaux de la ligne en voie verte. Rétablir la ligne coûtera donc cher et la SNCF n’est pas un partenaire facile.
Côté positif : - Un tronçon de la ligne est toujours en service pour le frêt (transport de marchandises) entre Valmy et Châlons-en-Champagne - Dans toutes les régions de France, des citoyens et des élus se mobilisent pour le maintien ou la réouverture des petites lignes et c’est vrai pour la Région du Grand Est. Le rétablissement de la ligne 5 est donc dans l’air du temps. - Un document : « Grenelle : neuf engagements pour les mobilités en Lorraine » [5], résultat de deux années de travaux associant élus et acteurs socio-économiques, a été acté en mars 2021 par le Président de Région et le Préfet de la Région Grand Est (donc l’Etat). L’engagement n°1 définit un plan d’action d’urgence pour préserver les lignes de desserte fine du territoire et la ligne Hagondange – Saint-Hilaire en fait partie. Mais pour l’instant, aucune action n’est engagée… Enfin, avec l’ouverture à la concurrence du transport sur voie ferrée, des opérateurs concurrents de la SNCF s’intéresseront peut-être aux petites lignes et, si c’est le cas, seront susceptibles de faire bouger le paysage.

En définitive, l’engagement de l’Etat et de la Région Grand Est (Autorité Responsable des Transports) seront indispensables. Mais cet engagement dépendra sans doute de la prise de conscience et de la mobilisation des habitants et des élus des territoires traversés par la ligne.
Michel PIERRE DIT MERY