Connaissance du Patrimoine Culturel Local
Le Petit Journal
de Sainte-Ménehould
et ses voisins d'Argonne
Edition régulière d'un bulletin traitant de l'histoire, des coutumes et de l'actualité.


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Auve incendiée.

   par John Jussy



Un livre qui est un témoignage de la grande guerre. Gomez Carrillo est un chroniqueur espagnol et correspondant de guerre. Ses chroniques sont destinées aux journaux espagnols et rapidement assemblées pour constituer un livre.
Ce livre « Parmi les ruines » a été traduit de l’espagnol par J.N. Champeaux.
Gomez Carrillo voyage de Paris à Verdun en compagnie d’un capitaine. La bataille de la Marne a laissé des ruines. À la page 117, les voyageurs arrivent à Auve. Le village, on le sait, a été incendié le 6 septembre 1914.

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"On ne peut faire un pas sans rencontrer les traces de l’invasion. Les fermes détruites par les obus abondent tellement que nous ne tournons même plus les yeux pour les regarder… La guerre c’est la guerre…
D’Auve, il ne reste rien, ni une maison, ni une ferme, ni une rue. Les ruines noires forment un vaste chantier désolé. Les traces des flammes dessinent de sinistres spirales sur les murs qui ne sont pas écroulés. Des meubles, on ne voit que les cendres.
Pour admirer l’œuvre maîtresse des incendiaires, nous laissons nos automobiles sur la route et nous pénétrons dans la cité. Là-bas, au loin, une tour à moitié en ruines nous attire. Nous nous dirigeons vers elle, parmi les fragments informes, essayant en vain de découvrir quelque chose qui nous indique ce qui se passa ici il y a quelques mois. Qu’était Auve avant la visite des hordes germaniques ? Par son étendue, elle paraît mieux qu’un village. Derrière les pierres l’on découvre encore des espaces qui furent, sans doute, des jardins. Quelques hautes grilles de fer gisent, tordues, aux pieds des murs. Personne ne peut, cependant, nous dire exactement si ses habitants étaient des villageois riches ou des bourgeois de Sainte-Ménehould qui venaient passer l’été sous ses ramures. On ne voit pas une âme. À un coin de rue nous trouvons un coffre-fort ouvert. L’église, une église de village, est éventrée et, sur son autel, il ne reste debout, sur un socle aux couleurs claires, qu’une Jeanne d’Arc de marbre. La Pucelle d’Orléans, que les évêques brûlèrent vive, paraît, morte, résister aux flammes.

Mais non, elle n’est pas seule. Parmi les vestiges d’une demeure, un fantôme vient d’apparaître, livide, tremblant. C’est une femme jeune et tragiquement belle. En nous voyant, elle tourne vers nous ses grands yeux noirs et nous examine avec inquiétude, comme si elle craignait que nous venions troubler la paix sinistre de sa nécropole. Ses mains caressent nerveusement un objet informe qu’elle vient de ramasser. Notre capitaine s’avance vers elle et lui pose quelques questions :
- C’est tout ce qui me reste, nous dit-elle.
Et aussitôt, elle nous parle de son mari, un médecin qui mourut dans les flammes ; de sa vie qui était la plus heureuse des vies ; de sa maison qui paraissait un nid d’amour.
- Mon piano, murmure-t-elle, en nous montrant une tache noire. Mon lit, ajoute-t-elle en regardant à droite.
Du pied, elle remue les cendres. Elle se baisse pour ramasser quelque chose. Elle fait quelques pas vers le fond et nous tourne le dos. Le capitaine lui adresse de nouveau la parole sans obtenir aucune réponse. Comme si elle ne s’apercevait pas de notre présence, elle continue à chercher de ses mains noircies quelque chose qui n’est pas là, quelque chose qui fut son bonheur passé, quelque chose qui n ’existe plus et que, dans sa folie, elle voudrait voir surgir d’entre les charbons.

À la sortie d’Auve, nous nous rencontrons avec le gardien de l’église, qui nous raconte l’éternelle histoire de toutes les localités martyres de la région. Les Allemands arrivèrent un jour, aux débuts de septembre, ils occupèrent les maisons et pillèrent les caves. Ils ne fusillèrent personne, non. Très sûrs d’eux-mêmes, ils parlèrent de Paris et de leur triomphe.
Au bout de peu de temps, un cavalier apporta la nouvelle de la déroute de la Marne. Alors, furieux, ils se préparèrent à partir précipitamment, mais auparavant ils incendièrent.

- Et la jeune femme que nous venons de voir ? lui demandai-je.
- Ah ! la malheureuse ! s’écrie-t-il, elle passe là les journées à fouiller les ruines de son foyer et à parler toute seule… Le maire de La Chapelle est venu pour l’emmener, sans y réussir… Elle dort là, dans une cabane de planches qu’elle s’est construite, et, parfois, la nuit, elle se promène parmi les ruines, appelant son mari…
Le gardien achève :
- C’était la plus riche d’ici… Elle avait même une automobile…
John Jussy

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