Bernard Renard, instituteur, amateur d’histoire, artiste, avait fait paraître dans le bulletin municipal de 1968 (dont il s’occupait) un article sur Chamisso. D’après les descriptions lues dans la poésie, il avait réalisé un dessin à la plume du château de Boncourt.
N’étant pas d’origine argonnaise ni germanophone, mes connaissances sur le créateur de Peter Schlemihl, l’homme qui a vendu son ombre au Diable, étaient très limitées. C’était quasiment un inconnu pour moi. A un vieil Argonnais à qui j’annonçais ma curiosité concernant Adelbert von Chamisso, poète, écrivain et botaniste, vint aussitôt une pensée : Das Schloß Boncourt ! C’était là peut-être un souvenir de jeunesse lorsque mon interlocuteur apprenait la langue de Goethe au lycée à Châlons-sur-Marne (devenue par la suite Châlons-en-Champagne).
Il existe de nombreuses études sur la biographie et l’œuvre d’Aldebert von Chamisso (né Louis Charles Adélaïde de Chamissot de Boncourt, le 30 janvier 1781) ; il y eut même un colloque le concernant en mai 1981 à Sainte-Ménehould. Tout a été dit probablement mais quels sont les éléments physiques encore existants en Argonne, lieu de sa naissance ? En route sur les traces d’Adelbert…
Il me fallait aller sur les lieux du château de Boncourt, où est né le poète. Pour cela la copie d’un vieux plan de 1781 conservé aux Archives départementales où figurait le château, près du village d’Ante (devenu depuis 1967 Sivry-Ante) ; celle du cadastre et une bonne carte de l’I.G.N. En prenant la route qui va du village Le Chemin vers Sivry-Ante, il faut tourner à gauche dans le premier chemin de terre après la forêt. A l’extrémité de la ligne droite faire quelques pas vers la droite et l’on aperçoit un grand quadrilatère bordé de fossés. Nous sommes arrivés. Le sol de ce champ est jonché de morceaux de pierres et de briques. Ici s’élevait le château de Boncourt.
« Und bist von der Erde verschwunden,
Der Pflug geht über dich hin. »
« Tu n’es plus, superbe naguères,
La charrue a passé sur toi ! »
(extrait de ‘Das Schloß Boncourt’
d’Adelbert von Chamisso)
Lorsqu’il évoque le château de sa jeunesse dans son poème, Adelbert a plutôt une vision romantique des lieux.
« Un voile humide est sur mes yeux.
Fidèle château de mes pères,
Je te retrouve tout en moi ! »
Pour une description plus proche de la réalité, il faut consulter l’inventaire effectué par Joseph Caillet, juge de paix du canton de Passavant, en mai et novembre 1792 en prévision de la vente comme bien national ; les membres de la famille de Chamissot ayant émigré en Allemagne.
On accédait au château de Boncourt par une avenue d’une centaine de mètres (les opérations du remembrement agricole ont désormais fait disparaître ce chemin) et on arrivait côté nord jusqu‘à un pont de pierre qui enjambait le fossé.
On pénétrait par une porte cochère surmontée d’armoiries dans une grande cour de ferme qui se développait à gauche de l’entrée. Près de la porte cochère se trouvait le logement du portier, des bergeries et des écuries. Au levant étaient deux granges. Au midi se trouvaient des remises à bois, d’autres écuries et des logements pour le personnel agricole.
A droite de l’entrée, occupant toute la façade ouest se dressait le château précédé par une terrasse à balustrade à laquelle on accédait par deux escaliers placés à chaque extrémité. Entre ces escaliers se trouvait une fontaine de pierre près de laquelle un sphinx était couché. Sur la terrasse grandissait un figuier. Presque toutes les pièces du château étaient parquetées et revêtues de chêne. Les cheminées étaient de marbres et surmontées de glaces et de trumeaux. Le grand salon était décoré d’une tapisserie de haute lisse encastrée dans la boiserie. Dans la salle à manger, une douzaine de tableaux étaient accrochés aux murs. L’antichambre était garnie de tables de jeu. Ensuite venait la chambre de Monsieur, celle de Madame et deux cabinets pour la toilette et la garde-robe. Au premier étage, se trouvaient une pièce transformée en oratoire et de nombreuses chambres. La bibliothèque riche d’environ 500 volumes était également à l’étage. Une petite aile renfermait la cuisine, le garde-manger et des chambres pour les domestiques. Le portier était logé à gauche de la porte d’entrée ; à côté se trouvait le logement du précepteur. Les cochers et palefreniers ainsi que le personnel agricole étaient répartis dans les logements qui encadraient la basse-cour.
A l’ouest du château s’étendaient de beaux jardins avec un parterre à la française et une construction qui dut probablement servir d’orangerie.
Bref, comme le soulignaient les agents du fisc en 1793, il s’agissait d’« une très belle et très vaste maison située à Ante appelée le château de Boncourt ».
Le 15 floréal de l’an II (4 mai 1794), une affiche annonçait la mise en vente de la propriété, suite à l’émigration de ses propriétaires. Le château et ses dépendances furent livrés à la pioche des démolisseurs peu de temps après. L’orangerie était toutefois encore visible en 1831. Il ne reste de la propriété que les fossés qui l’entouraient.
« Sois fertile, sol bien-aimé, je te bénis avec émotion et avec tendresse ; et soit deux fois béni celui qui aujourd’hui fait passer la charrue sur toi » écrivait le poète en 1827.
Louis Charles Adélaïde de Chamissot de Boncourt fut baptisé dans l’église d’Ante. Le parrain fut Louis Charles de Chamissot, seigneur de Sivry et la marraine Louise Adélaïde Charon de Chérisey représentée par Madame de Chamissot de Villers.
Dans l’église se trouve également le caveau funéraire de la famille des Chamissot de Boncourt. La dalle qui le recouvrait a été martelée à la Révolution mais on peut néanmoins y lire (ou plutôt deviner) :
CY GISSENT
HAUT ET PUISSANT
SEIGNEUR ROBERT
…………. CHAMISSOT DE
………. 7 BRE 1719 AGÉ DE
………S.
….. DE .. ERISEY SON EPOU
……………………………….
GUABRIEL …………..
Il s’agit là des arrière-grands-parents, Robert Jean de Chamissot, décédé le 25 septembre 1719 et Emilie de Chérisey, décédée le 3 octobre 1736 et d’un oncle du poète : Gabriel Hippolyte de Chamissot qui mourut au bout de huit jours en 1741.
Les registres paroissiaux mentionnent l’inhumation dans ce même lieu des grands-parents Louis Robert Hippolytte de Chamissot de Boncourt et Henriette d’Ernecourt son épouse, tous deux décédés en 1773.
Son père, Louis Marie, revenu en France est, quant à lui, décédé le 4 novembre 1806 en sa maison à L’Abbaye-sous-Plancy et sa mère, Marie Anne Gargam, quelques jours auparavant le 20 octobre 1806 chez son cousin à Villers-en-Argonne où elle est inhumée.
Boncourt, l’église d’Ante et Villers-en Argonne, trois lieux argonnais où plane encore le souvenir de Louis Charles Adélaïde de Chamisso(t) devenu Adelbert von Chamisso !
Bonne découverte à vous qui allez peut-être parcourir ces lieux en cherchant l’ombre de Peter Schlemihl.
Petites informations complémentaires :
Le blason de la famille Chamisso(t) peut se lire ainsi en langage héraldique :
« D’argent à cinq trèfles de sable en sautoir, soutenus de deux mains renversées de gueules ».
On retrouve également les armoiries de la famille Chamisso(t) au-dessus du portail Renaissance du château de Villers-en-Argonne, demeure de cousins d’Adelbert, et sous forme de girouette réalisée par Raymond Kneip dans cette propriété acquise en 1994 par Johannes Landman, ancien ambassadeur des Pays-Bas.
Cette antique porte de l’église d’Ante qui a dû s’ouvrir lors du baptême de Louis Charles Adélaïde Chamissot se trouve maintenant à l’Atelier-musée de la Main de Massiges (Marne).
Par ailleurs, certains objets personnels d’Adelbert de Chamisso, notamment une garniture de cheminée (voir quelques éléments ci-contre), offerte en 1963 par Margarete Meyer, descendante allemande du poète se trouvent désormais dans les réserves du musée des Beaux-Arts de Châlons-en-Champagne.
D’autres découvertes sont sans doute à faire…
Si vous voulez poursuivre votre promenade thématique et êtes intéressé par la généalogie de la famille Chamisso(t), vous pouvez aussi aller à l’église d’Andevanne, en Argonne ardennaise, où se trouve la pierre tombale du XVIe siècle d’ancêtres d’Adelbert : Woiry de Chamisso qui trépassa la veille de Noël 1572 et Anne Cuissotte son épouse.
Si, par mégarde, vous faites une chute lors de votre périple, utilisez une crème à base d’« Arnica chamissonis » encore appelée « Arnica de Chamisso », plante médicinale cultivée dont les propriétés sont bien connues, car n’oublions pas qu’Adelbert fut aussi un grand botaniste…
Jean Vigouroux
Sources
- Archives départementales de la Marne : E 1000 ; 2 E 10/1 ;
3 P 10/1 ; 1 Q 112 ; 1 Q 6628 ; 1 Q 6629
- Adelbert von Chamisso : « Das Schloß Boncourt », 1827 (traduction française publiée par Chateaubriand dans « Mémoires d’outre-tombe »)
- Louis Brouillon : Les origines d’Adelbert de Chamisso, dans « Travaux de l’Académie Nationale de Reims, 1909 »
- Actes des journées Chamisso franco-allemandes des 30 et 31 mai 1981
-https://www.thefrenchlife.org/2020/02/05/johannes-landman-champagne/
Remerciements
- à Bruno Bartolomiol, maire de Sivry-Ante
- à Johannes Landman, propriétaire du château de Villers-en-Argonne.
- à Clémentine Lemire et Caroline Niess-Guerlet, du musée des Beaux-Arts de Châlons-en-Champagne.