Il s’appelait Anne-Elzéard Duval, comte de Dampierre, baron de Hans. C’était un ancien officier qui portait la croix de Saint-Louis à sa boutonnière et un fervent royaliste ; c’est ce qui le perdra.
Il a été tué sur la route de Châlons, alors qu’il venait saluer la famille royale, par un groupe de patriotes qui escortaient les voitures de retour de Varennes. Les « assassins », on les connaissait, mais l’affaire allait prendre une tournure digne d’un roman policier actuel : on voulait faire disparaître les preuves.
Claude Buirette, historien et à l’époque juge à Sainte-Ménehould a écrit :
« Un habitant de Passavant vint me demander de lui remettre, pour les brûler, les procédures faites au sujet de la mort de M. de Dampierre ; attendu, disait-il, que les pièces devenaient inutiles d’après le décret de l’assemblée nationale. »
Evidemment Buirette refusa : mais l’homme devint furieux et menaça de venir en nombre et en armes pour forcer le juge à lui remettre les documents.
Mais quelque temps après, quand Buirette eut fini sa carrière de juge, les membres du comité de surveillance exigeront du greffier qu’il remette les documents à cet homme, et tout fut brûlé !
Pourquoi un tel acharnement alors que l’amnistie couvrait ceux qui avaient commis une action répréhensible ? De plus on était en pleine révolution et partout ce n’était qu’inquiétude, surtout que Louis XVI avait failli réussir à gagner l’étranger …
Les comptes-rendus divergent : le comte a-t-il tiré un coup de fusil ? Le roi a-t-il vu la scène ? Le comte a-t-il été tué près de la voiture ?
Mais que s’était-il donc passé ?
Sainte-Ménehould, 22 juin, début d’après-midi ; la famille royale, à qui on a refusé de coucher dans la ville, part pour Châlons sous bonne escorte. Partout on entend les cris de « Vive la Nation » « Vive les patriotes ».
Mais quand les voitures se mettent en marche, le comte de Dampierre apparaît. Brouillon : (histoire de la ville, 1900) raconte :
« Au moment où la voiture se mit en marche, un gentilhomme des environs était à cheval et muni d’un fusil de chasse se trouvait posté à l’angle de la rue de l’abreuvoir. Il salua la famille royale en présentant son arme. »
Buirette dit que le roi lui rendit son salut. Voilà une façon d’agir bien dangereuse, surtout que le cavalier avait deux pistolets passés à la ceinture… Le comte aurait pu se satisfaire du salut de sa majesté mais il galopa par la rue des Capucins (rue Gaillot-Aubert) pour rejoindre sur la place d’armes (Austerlitz) la voiture royale et cette fois en se présentant, nom et qualité.
Puis à la sortie de la ville, alors que les voitures montaient lentement, le baron de Hans vint encore parler au roi et lui dire qu’il avait épousé une parente d’un ministre. Que voulait-il donc ?
Simplement assouvir son plaisir de saluer le roi et obtenir quelques faveurs ?
Cette conversation devint suspecte et les gardes nationaux menacèrent le comte qui s’obstinait à suivre les voitures. Le meurtre qui allait suivre au bas de la côte n’est donc que l’issue malheureuse d’une conduite noble mais insensée.
Au bas de la côte de la Gréverie se trouve un marais, un fossé. Les voitures vont toujours lentement, escortées par une foule nombreuse. D’après Buirette qui a vécu l’évènement, le comte s’approcha des voitures, cria « Vive le roi », tira un coup de fusil en l’air pour saluer leurs majestés et partit avec son cheval au galop le long du fossé.
Georges Lenôtre, dans son ouvrage « Le drame de Varennes » raconte :
"Il s’éloigne au galop sur la levée d’un pré-marais ; des paysans font feu sur lui, sans l’atteindre, mais son cheval glisse sur le gazon glaiseux. L’homme roule dans un fossé où vite il est rejoint, fusillé à bout portant, rompu à coup de gourdin, défiguré à coup de pioche ; scène presque inaperçue parmi les chants et les huées de la foule en joie. Dampierre n’était pas encore mort. Les meurtriers le saisirent par le collet et le traînèrent, hurlant de douleur, vers la route, pour l’achever sous la voiture royale…
Par un fossé étroit et profond, ils y laissèrent rouler le moribond qu’on acheva d’une dernière décharge."
Baillon raconte une scène encore plus horrible :
« Gallois lui porta un coup de sabre sur la tête. Le comte retira un mouchoir blanc qu’il tint sur sa blessure avec les deux mains ; mais le scélérat lui porta un second coup qui lui coupa les deux mains sur la tête… Après la chute du comte, ces misérables tirèrent plus de vingt coups de fusil sur son cadavre. »
Ainsi chaque historien y va de sa version, mais la fin est toujours la même.
Le roi avait-il été témoin de la scène ? Certains ont même écrit que la voiture royale avait roulé sur le malheureux.
Alexandre Dumas dans son livre « La route de Varennes », relate les paroles de M. De Lacretelle :
« Il fut atteint de plusieurs balles au moment où il sollicitait la faveur de lui(le roi) baiser la main. Son sang rejaillit sur la voiture. »
On peut lire aussi sur le site internet consacré à cette affaire que le comte a été tué en présence de ses enfants. Or le fils avait 5 ans et la fille 3 ans…
Alexandre Dumas cite encore le récit de Michelet, une relecture romanesque dit-on, de l’histoire :
« Il disparut un moment dans un groupe où on lui coupa la tête ; cette tête sanglante fut inhumainement apportée jusqu’à la portière : on obtint à grand peine de ces sauvages qu’ils tinssent éloigné de la portière cet objet d’horreur. »
Dans le livre « Varennes, le pouvoir change de main », l’association « Les Fils de Valmy » cite le récit paru dans une brochure (bibliothèque de Reims) :
« Il (le comte) osa lâcher un coup de pistolet qui blessa un citoyen et on le hacha en pièces ainsi que son cheval sous les yeux du roi. »
Encore l’horreur dans ce qu’a écrit Georges Lenôtre :
« Le roi pourtant entendit la fusillade et s’informa : Ce n’est rien répondit quelqu’un, c’est un fou qu’on tue. » A croire qu’à cette époque il était normal de tuer les fous.
Les voitures arrivaient à Dommartin et ceux qui avaient abattu le comte se battaient pour savoir à qui appartiendrait… le cheval et le fusil. Ironie du sort, on trouva sur le comte un étui contenant cinquante louis d’or ; la victime n’avait pas été fouillée. Et la montre avait été fracassée.
Triste affaire donc qui amena bon nombre de rumeurs qui auraient pu discréditer les meurtriers. Le coup de fusil tiré par le cavalier était-il un signal pour avertir une troupe venue délivrer le roi ? M. de Dampierre avait-il bu plus que de raison ?
C’était la Révolution, on avait peur, peur que M. de Bouillé arrive de Varennes avec son armée, peur de son voisin, peur de ce qui arrivera plus tard ; car enfin, dans la voiture était le roi, un roi de droit divin.
Cependant le tribunal rechercha les assassins : les premiers retrouvés dénoncèrent les autres. Il y en avait de La Neuville-au-pont, de Passavant, de Hans, d’autres villages et même de la ville de Ste-Ménehould. Mais l’amnistie pour tous ceux qui auraient fait quelque chose de reprochable fut proclamée ; alors pourquoi avoir voulu détruire toutes les pièces à conviction ? Buirette conclut en donnant peut-être la solution :
« Ils n’en demeurèrent pas moins flétris et déshonorés dans l’esprit et la mémoire de leurs concitoyens. »
Il fallait donc faire disparaître les noms, peut-être aussi par peur de futures et éventuelles représailles, ce qui aurait pu arriver si Valmy n’avait pas été une victoire.
Si l’on jugeait cette affaire aujourd’hui, la question principale serait : le comte a-t-il tiré un coup de feu ?
Cette affaire fit quand même grand bruit et impressionna fortement les nobles du pays. On dit que ce meurtre a accéléré le départ de nombreuses familles vers l’étranger, mais pas celle de Chamisso qui avait quitté prudemment un an plus tôt le château de Boncourt.
Qui était le comte de Dampierre ?
Anne-Elzéard était né en 1725 à Hans. Il devint page de l’écurie du roi en 1759, capitaine dans le régiment du Quercy, puis capitaine dans le régiment d’Artois, mais toujours dans la cavalerie.
Fait chevalier de Saint-Louis en 1781 ; c’était un ordre dynastique et pour être chevalier il fallait avoir été 10 ans aux armées et prouver sa catholicité. Mais cet ordre n’était pas réservé qu’aux nobles.
C’est en tant que lieutenant-colonel qu’il revint au château de Hans prendre sa retraite. Il s’est marié en 1765, il avait alors 40 ans, avec Aglaé de Ségur Cabanac, une comtesse de 20 ans issue d’une grande famille du royaume, la nièce de M. d’Allonville. La comtesse décédera en 1833. Deux enfants naîtront de cette union : Philippe Henri Auguste et Charlotte Louis Delphine.
Le comte de Dampierre régissait 400 hectares de terres dont 300 sur le territoire de Hans. En 1789 il eut un différend avec les paysans qui l’accusaient de s’être emparé d’une propriété au Mont Yvron qui, selon la tradition, appartenait à la commune.
Le mot Dampierre peut prêter à confusion avec Dampierre-le-Château. Mais Dampierre était le nom d’une grande famille de nobles.
John Jussy
Des livres à dénicher et à lire :
- Buirette, histoire de la ville 1837.
- Brouillon, histoire de la ville en réédition.
- Georges Lenôtre, le drame de Varennes, édition originale 1905.
- Alexandre Dumas, la route de Varennes, en réédition.
- Les fils de Valmy ; le pouvoir change de main, 2007.
- Recherches historiques sur Hans-le-Grand, M. Richez-Adnet, réédition 1998.
Quelques réflexions : Si les « patriotes » ont pu tuer d’une décharge de fusil le comte, c’est que le cheval de celui-ci a glissé. A noter que le comte était un cavalier d’expérience. Déjà le lieu allait amener le drame : le chemin sur lequel se trouvait le comte était situé le long d’un pré-marais nommé l’étang du Rupt, donc un endroit humide même si le jour de la fuite à Varennes il faisait beau. Aujourd’hui encore il y a un petit ruisseau, une mare, des arbres.
Maintenant parlons du cheval. Le comte, qui a certainement appris en fin de matinée le retour du roi, a galopé vers Sainte-Ménehould, 20 km. Ensuite il va aller sur le lieu du drame : 2 km, 3 km car il fait des détours. On peut se demander si le cheval n’était pas fatigué.
Autre chose : le comte tire un coup de feu, les gardes nationaux tirent ; le cheval a-t-il eu peur ? Dernière réflexion : le comte tient son fusil à la main, cela peut être une gêne pour guider le cheval ?
À suivre… de Chaudefontaine à Hans