Luc Delemotte, notre dessinateur, est aussi chercheur passionné d’histoire. Sa découverte est un témoignage émouvant sur la vie des Américains et Américaines morts en Argonne.
En recherchant des documents sur l’histoire de Saint-Ménehould, le hasard me fit tomber sur une photo de maison en ruine, photo apparemment anodine. Toutefois, je fus intrigué par la légende tapée à la machine à écrire en anglais au dos de la carte : « Pièce où fut tuée Miss Crandall. Elle fut la première travailleuse de santé à être tuée sur le front ». Il n’en fallait pas moins pour éveiller ma curiosité et chercher des informations.
Marion G. Crandall est née à Cedar Rapids dans l’Iowa, le 25 avril 1872. Elle a fréquenté l’école de Cedar Rapids et celle d’Omaha, puis s’est inscrite à l’Université de la Sorbonne à Paris, avant de résider avec son frère pendant une courte période à Alameda, en Californie.
Ensuite elle a enseigné un certain temps le français à l’école Sainte Katherine de Davenport, dans l’Iowa.
Quand les U.S.A déclarèrent la guerre à l’Allemagne, Marion Crandall, pensant que ses compétences linguistiques seraient utiles, démissionna de son poste à Sainte Katherine et s’engagea en service actif. L’École avait promis de garder son poste ouvert jusqu’à son retour.
À l’aube de son 46e anniversaire, Mlle Crandall est arrivée en France le 15 février 1918 et s’est mise au travail à la cantine de ce qu’on appelait Le Foyer du Soldat, un lieu où les soldats pouvaient se reposer, prendre un bon repas, lire des livres et peut-être oublier la guerre pendant quelques instants précieux.
Comme les femmes n’étaient pas autorisées à participer au combat, Mlle Crandall se joignit à la United States Christian Commission du Y.M.C.A., qui était à l’époque la principale organisation responsable des services de soutien outre-mer aux troupes alliées.
Le 27 mars 1918, Mlle Crandall travaillait dans ce foyer à Sainte-Ménehould, près de la ligne de front. L’artillerie allemande commença un bombardement de la ville et un obus détruisit le bâtiment dans lequel Mlle Crandall s’était réfugiée.
Marion G. Crandall fut ainsi la première femme américaine en service actif tuée pendant la Première Guerre mondiale. Elle fut enterrée dans le cimetière de l’hôpital de Sainte-Ménehould, bien qu’après la guerre, ses restes aient été transférés au cimetière américain de Meuse-Argonne.
En 1923, Sainte Katherine a acheté la propriété McCandless voisine de l’école pour en faire un mémorial. Le 11 novembre 1925, une borne commémorant le sacrifice de Mlle Crandall a été scellée par le colonel D. M. King, alors commandant de l’arsenal de Rock Island. Plus tard, un autre mémorial a ensuite été inauguré dans un endroit plus visible pour entretenir la mémoire de celle qui perdit la vie au service des autres.
Aujourd’hui encore, son sacrifice est honoré. En 2018, un groupe d’étudiants américains est venu se recueillir sur sa tombe.
Luc Delemotte
Vidéo (en anglais) : https://nebraskastories.org/videos/marion-crandell/
Les bombardements sur Menou.
En cette année 1917, le front est stabilisé au nord de l’Argonne ; Sainte-Ménehould est une ville hôpital, une ville où le poilu vient se reposer.
Les bâtiments ont été réquisitionnés, comme le lycée Chanzy pour faire un hôpi-tal ou encore cette maison où œuvrait Marion G. Crandall, un bâtiment qui était devenu le foyer du soldat.
Pendant toute la guerre on entendait la canonnade et les obus tombaient sur la ville : parfois ils étaient lâchés par des avions, comme ce 8 octobre 1915 où deux avions ennemis laissent tomber deux bombes vers la gare.
Mais en ce début d’année 1918, tout va mal.
Baillon (histoire de la ville) a écrit :
« Vers la fin de mars, la situation de nos armées paraît angoissante, en particulier en Champagne : les nouvelles sont mauvaises et on parle de nouveau en ville d’éva-cuation. »
Et en effet, les 28 et 29, de nombreux habitants partent en exode. Et les obus pleuvent toujours, un vers la prison, un dans une maison de la rue Gaillot-Aubert où s’était réfugié un général.
C’est un de ces obus qui a détruit la maison du foyer du soldat, tué ses occupants et prit la vie de Marion G. Crandall.
Pas facile de retrouver la maison, ville basse, rue pavée… Cette maison était en bas de la rue Florion : à droite l’ancienne voie ferrée nord-sud et sur le trottoir, tou-jours à droite, le portillon du passage à niveau.