Nous sommes au début du 20e siècle et la place de l’église est très importante dans la vie des villages. Mais la séparation de l’église et de l’état est à l’ordre du jour et cela promet de belles difficultés à venir !
Le 1er mars 1903, des discussions s’engagent autour du programme du « Bloc » : c’est un groupement politique qui unit radicaux et socialistes de 1899 à 1905 et le souhait est l’amélioration de la vie de tous les jours :
- 1 : Les retraites ouvrières.
- 2 : La loi militaire de 2 ans.
- 3 : L’impôt sur le revenu.
- 4 : La séparation de l’église et de l’état. Sur ce dernier point, le « Journal de la Marne » prend une position plutôt négative : « Ce projet, qui outrage en même temps la justice et la liberté, rend impossible la paix religieuse pourtant souhaitée par tous. »
Je vais citer l’exemple de deux villages où la séparation de l’église et de l’état s’est faite différemment et bien avant 1905.
Verrières.
Dans ce village, il y a une école libre de filles suite au don d’un général originaire du village à la fin des années 1800. En 1900, un couple d’instituteurs laïques vient s’installer pour y enseigner. Tout se passe bien au début et ils sont adoptés par le village et même par le curé.
Mais les sœurs de l’école libre ont quelques problèmes avec les élèves de l’école laïque et l’institutrice n’a plus que sa fille comme élève car les sœurs ne veulent pas d’élèves laïques.
Pourtant l’instituteur et son épouse ont de bonnes relations à Verrières en particulier avec le curé ! (Lire « Deux instituteurs à Verrières en 1900 » de Jeanne Procureur, réédité par le Petit journal en 2011)
Cela va tellement bien que les sœurs alertent l’évêché du fait de « voir ce laïc et son épouse trop bien à leur goût avec le curé ! ». Dès 1904, l’évêché remplace le curé et celui-ci est l’opposé du brave curé précédent. La guerre se trouve donc déclarée entre « la maison du diable » et « celle du Bon Dieu ». Le nouveau curé, carrément hostile à la laïcité, va jusqu’à supprimer la communion privée et la communion solennelle. Et à la Fête Dieu, le curé n’arrête la procession que devant les reposoirs des sœurs. Pourtant l’institutrice laïque est catholique pratiquante.
En conclusion, je vois très bien la séparation de l’église et de l’état qui a bien fonctionné car les habitants ont certainement réfléchi sans se laisser aller dans des directions obligées.
Auve.
Dans ce village, cela s’est passé différemment. Ce village a hérité de l’office notarial venant de Saint Rémy-sur-Bussy dès 1804. A partir de là, des notaires ont marqué leur présence à Auve en s’investissant pour certains dans la fonction de maire. Ils sont souvent de tendance progressiste, ce qui ne plait pas à la plupart des curés.
A partir de 1850, la guérilla est réelle entre les curés et les maires. L’arrivée de l’abbé Cannebotin, un « dur », se transforme en coups tordus dignes de « Don Camillo et Pépone », ne cédant ni l’un ni l’autre, en guerre l’un contre l’autre.
Plus tard, en 1870, Désiré Lefert, clerc d’avoué, est élu maire facilement malgré son étiquette radicale. Il est élu également conseiller général à Dommartin-sur-Yèvre. Le Journal de la Marne, de tendance cléricale comme dit plus haut, le critique après son élection par un article le baptisant « le plus nul du département ». Mais le journal ne continuera pas longtemps, le voyant réélu chaque fois comme maire et conseiller général et cela pendant des dizaines d’années.
Contrairement à beaucoup de communes, la séparation de l’église et de l’état s’est bien passée à Auve car la population s’est révélée capable de prendre des initiatives dans l’esprit de ce qu’elle a vécu de nouveau pendant des années.
La vallée de la Tourbe.
Par contre les villages de la vallée de la Tourbe, réputés très attachés à la religion, ont connu pas mal d’accrocs parfois sévères entre curés et une partie de la population.
Ci-dessous, extraits des articles publiés dans le « Journal de la Marne » :
- Le 29 septembre 1906 : la commission municipale remplaçant le conseil municipal dissous était enfin constituée. Le samedi suivant l’installation de ladite commission, M. Ernest Morlet, obéissant à une circulaire reçue le matin même se signalait en faisant enlever silencieusement et sans témoin le crucifix de l’école mixte par un ouvrier étranger au pays. La population de Somme-Tourbe, toujours profondément religieuse, est opposée aux sectaires, et est fortement indignée. Ainsi les parents des enfants se disposent à les envoyer avec un beau crucifix sur la poitrine. Ils ne croient pas devoir faire moins pour affirmer leur attachement à la foi de leur baptême et réparer l’outrage fait à leur Dieu.
- Les 6 et 7 octobre 1906 : Somme-Tourbe, la croix ayant été enlevée, les parents des élèves se disposent à envoyer les enfants à l’école avec un beau crucifix sur la poitrine.
- Le 10 novembre 1906 : Laval-sur-Tourbe, M. Huvet, maire a été suspendu puis révoqué pour n’avoir pas enlevé le crucifix à l’école. Le conseil municipal approuve sa noble conduite.
- Le 21 novembre 1906 : Elections du nouveau maire à Minaucourt, Saint-Jean sur-Tourbe et Laval-sur-Tourbe suite à leur révocation, mais ils sont réélus et le résultat est annulé. Les problèmes de crucifix à l’école vont se régler en octobre, novembre pour Massiges, Laval-sur-Tourbe et Minaucourt.
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: Minaucourt, le curé, prenant partie contre l’instituteur qui prenait son poste et péripéties incroyables. Sermons violents contre l’instituteur, M. Rochefort, qui pourtant assistait à la messe. Refus de son obole, pétitions contre lui (truquées). A la fin, 22 élèves sur 30 fréquentaient l’école laïque qu’interdisait l’abbé Faguier. Les 8 autres avaient peur de l’excommunication et n’allaient plus à l’école. Il n’y avait que celle-là au village.
Le maire Francart, pris dans la tourmente après avoir enlevé le christ de l’école, le remit et ensuite il démissionna car il était pris entre deux feux.
L’instituteur restait stoïque sans alimenter les polémiques et calomnies. Cela fait que l’un après l’autre, y compris des catholiques ainsi que les habitants prirent le parti de l’instituteur. Le curé Faguier aurait été poussé contre l’instituteur par le desservant de Virginy suite à un contentieux antérieur de plusieurs années.
La séparation de l’église et de l’état s’est bien passée à Auve. Mais dans les années suivantes, il y eut quelques anicroches. Par exemple la « Semaine religieuse », petit journal paroissial, nous apprend que six jeunes filles du village ne vont pas à l’école pour ne pas se servir de « mauvais livres ». Et en 1913, des villageois font circuler une pétition et recueillent de nombreuses signatures pour conserver leur liberté et leur autorité quant à l’éducation des enfants.
Dominique Delacour