En novembre 1653, le Grand Condé assiégeait avec son armée la forteresse de Sainte-Ménehould. De nombreux bourgeois restés fidèles au roi devaient perdre la vie, une mère pleurait son enfant tué sur les remparts (notre numéro 93) ; Et pourtant, huit mois après, le Grand Condé allait devenir le maître du Clermontois, et cela pour la deuxième fois.
Le Clermontois était devenu français en 1632. Louis XIII avait alors, en une guerre éclair, envahi la Lorraine et Charles IV, duc de Lorraine et de Bar, signait le traité de Liverdun le 26 juin. Louis XIII renonçait à ses conquêtes mais gardait le Clermontois.
Louis II de Bourbon, dit le Grand Condé, était un prince de sang, un cousin germain de Louis XIV [1] ; c’était un des plus grands chefs de guerre du XVIIe siècle, et aussi un mécène. Parmi ses batailles on retient surtout celle de Rocroi livrée contre les Espagnols, une victoire qui sauva la France. C’était en 1643 et la France avait pour roi le jeune Louis XIV.
Mazarin voulait amadouer le prince qui commençait à donner des signes de révolte. Il donna le Clermontois au Grand Condé. C’était en 1648.
Jean Marchal a écrit : « Louis XIV donna le Clermontois en apanage [i]] au Grand Condé. »
Jacques Hussenet dans son ouvrage « Argonne 1630-1980 » précise que le Grand Condé avait alors des privilèges exorbitants (taille, gabelle), nomination des intendants, etc…. et que le Clermontois relevait de Chantilly, résidence de Condé et non de Versailles.
Charles Aimond a écrit : « La municipalité de Clermont s’empressa (20 décembre 1648), au moment de son renouvellement annuel, de déléguer vers son nouveau maître à Paris deux bourgeois chargés de présenter à Condé bonne volonté et services… et soumission de tous les bourgeois. »
Les deux bourgeois n’allaient pas à Paris les mains vides, ils emportaient 600 livres de dragées, 300 kg… un geste généreux mais pas pour les habitants, car pour cela un impôt de 60 livres avait été levé sur toutes les personnes….
Condé en Argonne, cela ne devait pas durer, car le prince allait bientôt se révolter contre Anne d’Autriche, la régente, et Mazarin : c’était le début de la Fronde, une guerre fratricide dont le siège de Sainte-Ménehould en 1652 fut un des malheureux épisodes.
Le 30 octobre 1652, donc, les armées du prince commençaient à attaquer la ville. Après de durs combats, la reddition fut signée le 13 novembre. Le manuscrit d’Hippolyte Thibault stipule : « Le prince entra dans la ville qui s’estoit généreusement défendue et témoigné une singulière fidélité au service du roy. »
Condé ne resta pas longtemps dans la ville car on peut lire quelques pages plus loin : « Le prince partit le 14 pour Clermont avec quelques généraux, laissant dans cette ville le sieur de Montal pour y commander… »
A la fin du second siège de la ville donné victorieusement par les armées royales, quand les troupes du prince quittaient la ville, Louis XIV était là, mais apparemment pas Condé.
Auparavant le grand Condé avait été emprisonné en 1650, libéré en 1651 ; il rejoignit la Fronde, s’allia aux Espagnols. En 1652 il fut déchu de ses dignités et de ses possessions, dont le Clermontois, et condamné à mort. Après sa défaite à Sainte-Ménehould, il partit en exil, dans le comté de Flandre, alors possession espagnole.
Coup de théâtre : en 1659 fut signée la paix entre la France et l’Espagne (traîté des Pyrénées qui mettait fin à la Guerre de Trente Ans) et le Grand Condé retrouva tous ses droits, ses privilèges, ses possessions.
En 1660 il redevint maître du Clermontois, dont le site de Clermont-en-Argonne, une cité qui d’ailleurs perdait son château.
Car en 1654, les troupes royales, après la reprise de la ville de Menou, avaient assiégé la forteresse de Clermont. La garnison capitula et Mazarin décida de raser entièrement le château. Commencés en 1655, les travaux durèrent 15 ans… Quand le Grand Condé reprit possession de Clermont, les démolitions étaient en cours… étrange !
En 1664 le prince donna le Clermontois à son fils, le duc d’Enghien. A 43 ans, le Grand Condé préférait sans doute vivre dans son château de Chantilly où en grand mécène, il aimait les lettres, la science, les arts, les fleurs. Le château était lieu de réjouissances.
Charles Aimond a écrit : « De sa résidence de Chantilly, le prince de Condé continue de percevoir les revenus du Clermontois. » Clermont restera à la famille des Condés jusqu’à la Révolution.
On a l’habitude de ne pas juger ce qui s’est passé autrefois. Mais dans cette histoire imaginons la détresse des veuves de Menou si elles avaient appris que le Grand Condé avait été pardonné et que, ensuite, le prince festoyait avec Louis XIV dans son château. Et que dire si elles ont su que huit ans après la mort de leurs maris, le chef de guerre, celui qui avait assiégé la ville, était redevenu le maître de la région voisine à 15 km…
Mais au fait, quand le Grand Condé allait (comme il l’a fait, accompagné de son fils en 1672) de son château de Chantilly à Clermont, ne traversait-il pas la cité argonnaise ?
John Jussy
Notes :
Quelques dates en guise de résumé :
- 1621 : naissance du Grand Condé.
- 1632 : le Clermontois devient français.
- 1638 : naissance de Louis XIV.
- 1643 : bataille de Rocroi.
- 1648 : Condé maître du Clermontois.
- 1650 : Condé rejoint les frondeurs.
- 1651 : fin de la régence d’Anne d’Autriche.
- 1652 : Condé s’empare de Menou.
- 1653 : Louis XIV libère Menou.
- 1654 : les armées royales prennent Clermont.
- 1655 : démolition du château de Clermont.
- 1659 : traité des Pyrénées.
- 1660 : Condé maître du Clermontois.
- 1664 : le duc d’Enghien maître du Clermontois.
- 1686 : mort de Condé.
- 1745 : mort de Louis XIV.
Notes :
- Quatre livres à dénicher :
« Clermont en Argonne » par Charles Aimond.
« Clermont en Argonne, histoire militaire et religieuse du plateau de Saint-Anne » par Hubert Philippe, 2011. Un livre tout en couleur agrémenté de nombreux plans et cartes.
« L’Argonne guide touristique » par Jean Marchal, 1963, édité par le Centre d’études argonnais« .
»Argonne 1630-1980" par Jacques Hussenet, 1982 ; un énorme ouvrage de 450 pages contenant nombre de cartes et tableaux.
- Histoire de dragées :
La dragée a été inventée en 1220 par un apothicaire de Verdun, ville qui allait en devenir la capitale. Et donc les bourgeois de Clermont avaient offert des dragées au Grand Condé, un produit local et festif.
Des dragées avaient également été offertes en étrennes au comte de Chamilly (livre de Charles Aimond) qui était venu prendre la forteresse au nom de prince de Condé.
La dragée était d’ailleurs très appréciée à la cour du roi soleil : on parlait d’une « épice de bouche ». On dit que la dragée pouvait combattre l’infertilité, d’où la présence de dragées aux mariages, aux baptêmes.
- Condé n’eut que deux enfants, Henri Julien et Charlotte-Marguerite. Et au baptême du fils en 1643, le parrain était … Mazarin.