ALIX BUACHE, le Maire de l’après-guerre
C’est à une bien modeste rue du quartier des Vertes Voyes, près du groupe scolaire, que revient l’honneur de perpétuer le souvenir d’Alix BUACHE, Maire de Sainte-Ménehould, de 1944 à 1959. Le travail important qu’il a réalisé dans une période difficile, l’estime générale dont il bénéficiait et les distinctions qu’il connut de son vivant (Chevalier de la Légion d’Honneur, Officier des Palmes Académiques, Chevalier du Mérite Social) auraient peut-être pu mériter une reconnaissance de la cité plus élogieuse, par exemple, en donnant son nom à un groupe d’école de la rue Camille Margaine.
Sainte-Ménehould sortit de la dernière guerre mondiale affreusement mutilée. Au premier rang sur la route des envahisseurs, comme à son habitude, la cité avait payé un lourd tribu. Les bombardements de mai 1940 détruisirent plus du tiers des maisons. Lors de leur retraite, en août 1944, les Allemands ajoutèrent aux blessures de la ville en incendiant plusieurs maisons. Sainte-Ménehould devait relever ses ruines, panser ses plaies, reprendre goût à la vie, relancer son activité.
Un homme s’y employa avec détermination et abnégation : Alix BUACHE. Maire de la libération, Alix BUACHE naît dans cette pépinière de maçons et de tailleurs de pierres réputés qu’était la Neuville-au-Pont, le 18 novembre 1890. Il est, dès l’âge de quatorze ans, confronté à la dure tâche des compagnons de l’époque, en entrant comme apprenti dans l’entreprise ARTOISE. Son père, Emile, y est chef de chantier. C’est une entreprise solide, réputée, qui participe à la construction de plusieurs édifices remarquables de la région. On lui doit, entre autres, le monument de Kellermann à Valmy et la Caisse d’Epargne de Sainte-Ménehould.
Un peu avant la première guerre, Emile BUACHE reprend l’entreprise ARTOISE. C’est alors qu’Alix va se trouver éloigné de la profession par un long service militaire, puis par la première guerre mondiale. Il est mobilisé dès les premiers jours du conflit et passera ces quatre terribles années dans l’enfer de Verdun (Il obtiendra la médaille d’argent du souvenir français et les médailles de Verdun et de l’Argonne). Après cette longue coupure, Alix BUACHE va prendre de grandes résolutions.
En 1920, il épouse l’institutrice du village, Angèle HAURAUX, originaire de Witry-les-Reims, qu’il connaissait depuis les années d’avant guerre (Madame BUACHE enseigna à Sainte-Ménehould jusqu’en 1923, puis cessa d’exercer pour élever ses filles).
Cette même année, il reprend l’entreprise familiale, son père étant atteint par la limite d’âge et s’installe à Sainte-Ménehould. En 1930, l’entreprise artisanale, qui a pris de l’importance, s’installe définitivement Faubourg des bois. La vaste cour du « chantier » est encore visible. C’est là qu’il résidera, jusqu’à son décès, en 1976.
Que de maisons, que d’édifices publics seront reconstruits par cette société dont chacun loue le sérieux ! Pourtant ce n’est pas au titre de patron qu’Alix BUACHE doit sa notoriété, mais à celui de Maire de la Libération et de la reconstruction.
Cette histoire commence en 1935. Alix BUACHE, qui est radical socialiste, se présente aux élections municipales, sur la liste du Maire sortant, Monsieur POUGNANT, professeur retraité. A cette époque, et jusqu’en 1959, aux élections municipales, s’affrontent deux listes : l’une regroupant les radicaux socialistes, les socialistes, les laïques et une autre, de droite, très liée à l’église. Traditionnellement, la liste de gauche a le plus grand nombre d’élus et donc, le poste de Maire, et tout aussi traditionnellement, tous les élus travaillent en bonne entente, oubliant de quelle liste ils étaient issus.
A mi-mandat, en 1937, le Maire, très âgé, cède, comme il en avait été convenu, son poste à son premier adjoint, radical comme lui : Gaston VATIER. Alix BUACHE devient, à cette occasion, premier adjoint. Survient la guerre. Durant celle-ci, il manifeste un soutien efficace à la population et à la résistance. Aussi, à la Libération, c’est tout naturellement qu’il est nommé par le conseil national de la résistance, à la tête de la délégation spéciale qui fait office de conseil municipal, avec le titre de Président. Le suffrage universel, le 20 mai 1945, le conforte comme premier magistrat. Il est confortablement réélu, dès le premier tour. L’essentiel de son activité sera de remettre la ville en ordre de marche, reconstruire ce qui a été détruit, remettre les services publics en ordre, redonner à la ville tout son lustre. Voici les tâches auxquelles il s’attache :
Cet homme discret, modeste, courtois, ne connaissant aucun ennemi, aimant la vie de famille, les assemblées où il rencontre les anciens combattants, les élus de la région ou ses collègues du bâtiment, va travailler avec opiniâtreté.
Grâce à une équipe soudée autour de sa personnalité, Sainte-Ménehould retrouve sa belle ordonnance d’antan et la coquetterie de ses places et de ses promenades. En dix ans, l’essentiel est fait. Le 13 octobre 1954, pour célébrer cette renaissance, les autorités se réunissent à Sainte-Ménehould, à l’occasion de l’inauguration du nouveau groupe scolaire, rue Camille Margaine. Tout Sainte-Ménehould est là, devant les grilles enrubannées de tricolore, tandis que, sous les ordres de Monsieur FERY, l’Aiglonne fait éclater la Marseillaise. Tout le gratin du département est accueilli par le Maire : Monsieur CHAUSSADE, Préfet, Monsieur SCHNEITER, Député et ancien Ministre, Messieurs MENU et LEMAIRE, Sénateurs, Monsieur BERGAUT, président du Conseil Général, Messieurs ANXIONNAZ et DEGRAEVE, Conseillers Généraux. Alors que le ciel gris moutonné laisse percer un joyeux rayon de soleil en signe d’amitié et d’espérance, Monsieur BUACHE déclare :
« Nous avions, là une plaie de pierres qui, parmi d’autres, faisait grand mal à notre ville. Elle est pansée et c’est tant mieux. Notre groupe scolaire, grand mutilé de guerre, deux fois touché dans ses oeuvres vives, renaît à son existence utile. Nous n’oublions pas la note à payer, mais nous regardons aussi la plus belle de nos espérances, cette jeunesse rassemblée de nouveau, qui donne une âme à ces pierres relevées. »
On peut mettre au crédit de la municipalité de Monsieur BUACHE, une construction respectant le caractère traditionnel de la cité. Ainsi, la rue Philippe de la Force est relevée dans le respect du style local, les logements locatifs HLM sont insérés discrètement dans le tissu architectural. Après son départ de la Mairie, en 1959, c’est une autre optique qui sera adoptée avec la création du quartier des Vertes Voyes. N’oublions pas que, contrairement à certaines idées reçues, c’est lui qui, en collaboration a avec Emile NOEL, Président de la chambre des entrepreneurs de l’arrondissement, a lancé, en 1953, la zone industrielle, en acquérant le terrain de l’ancienne bonneterie CHIGOT. Robert LANCELOT en fut le premier utilisateur, puis, comme Maire, un promoteur efficace.
L’année 1955 va marquer un tournant dans l’activité d’Alix BUACHE. Il se présente à l’élection cantonale tout naturellement, mais sans grand enthousiasme. Il est concurrencé, sur sa gauche, par son adjoint Henri STEFFEN, socialiste. Au premier tour, à la surprise générale, c’est un jeune agriculteur, Jean-Louis PIERRE dit MERY, porté par l’essor du MRP et le vote des villages, qui est en tête, devançant Alix BUACHE de quelques voix, ce dernier étant talonné par Henri STEFFEN.
En fait, Alix BUACHE est considéré par tous comme le favori du second tour, en bénéficiant du désistement des autres candidats de gauche. La victoire est à portée de main. Et bien Alix BUACHE se dérobe, peut-être un peu ulcéré de ne pas avoir fait un meilleur score, mais aussi sûrement déjà un peu las de la politique. Il finira son mandat de Maire, mais ne se représentera pas en 1959, laissant la place à Robert LANCELOT.
Au cours d’une brillante cérémonie, présidée par Monsieur Christian LOBUT, Préfet de la Marne, Monsieur BUACHE est fait Maire honoraire et reçoit un éclatant hommage de la nouvelle municipalité, le vendredi 8 mai 1959. Il est fait, par le Préfet, le bilan de son action « permettant à Sainte-Ménehould d’affronter l’avenir avec confiance : zone industrielle, création de logements, modernisation de l’hôpital, création du groupe scolaire et centre technique [1], développement du Collège, accroissement du tourisme. »
En 1961, Monsieur BUACHE perd son épouse. On continuera encore longtemps à voir sa silhouette arpenter, à pieds, la ville qu’il aime. En 1976, il décède. La population lui rend un dernier hommage émouvant lors de ses obsèques.
Ainsi partait celui qui se définissait comme « un bon père de famille, pour qui la solidarité n’est pas qu’un mot, la fraternité est autre chose qu’une écriture, qui aime plus les gens que l’argent et se sent solidaire de tous ceux qui gèrent leur maison, leur commune, le pays, avec le sens de la solidarité. »
F. DUBOISY
Source : journal l’UNION