La Revue de la Marne est une mine d’histoires et d’anecdotes. En 1851, l’éditeur ménéhildien POIGNEE-DARNAULT dirige ce journal et cherche, à travers les dépêches, les informations qui susciteront l’intérêt des lecteurs. Les faits locaux visent à informer le public, mais aussi à le prévenir. C’est ainsi qu’il fait paraître, le 8 mai 1851, dans le n°1122 la copie d’un article paru quelque temps auparavant dans « le Journal de Verdun ».
« Vendredi dernier, un aubergiste du faubourg Pavé, à Verdun, vit entrer chez lui un voyageur du plus misérable aspect, couvert d’un costume polonais en fort mauvais état, qui demanda une demi-bouteille de vin. On la lui servit.
La tristesse profonde à laquelle le voyageur paraissait en proie avait déjà prévenu l’aubergiste en sa faveur, lorsqu’un second voyageur entra ; il s’adressa au premier et un dialogue animé s’engagea entre eux. Mais comme ils parlaient une langue étrangère, l’aubergiste n’y comprit rien, sinon que le premier voyageur paraissait fort malheureux et que l’autre le prenait en pitié. C’est à ce moment que le premier voyageur tira de sa poche et montra à son interlocuteur une croix en or, entourée de diamants, qui parut à l’aubergiste être de la plus belle eau.
A cette vue, la curiosité de l’aubergiste fut vivement excitée ; il demanda au nouvel arrivé, qui portait une boîte enveloppée de toile cirée, quel était cet individu et d’où il tenait un aussi beau bijou.
Ce compère (car c’en était un) lui dit que son camarade ne comprenait pas bien sa langue, qu’il était Polonais, sans argent, et qu’il offrait de lui vendre cette croix, à laquelle il ajoutait un demi-tour en brillants, mais que, malgré la valeur de ces objets, qui valaient bien 40.000 Francs, il lui était impossible de profiter de ce bon marché, attendu qu’il n’avait pas assez d’argent pour satisfaire au prix qu’on lui en demandait.
L’aubergiste, homme aisé, convoitait ce marché. Ce que voyant, le Polonais ne semblait plus aussi disposé à se défaire d’un bijou provenant de son pays et auquel il devait tenir beaucoup. Cependant, sur l’invitation du débitant, on passa dans une pièce voisine ; le marché y fut discuté. Bref, on convint de 1.000 Francs qui furent comptés à l’instant.
Le second voyageur, qui avait assisté au marché, se donna pour un négociant domicilié à Metz. Il avait, disait-il, dans la boîte qu’il portait, des valeurs considérables, mais comme il était obligé de se rendre à Metz pour aller chercher de l’argent, il pria l’aubergiste de vouloir bien garder cette boîte, qu’il lui remit à l’instant et que celui-ci s’empressa de mettre sous clé.
Le négociant de Metz partit en promettant qu’à son retour il ferait un cadeau à la femme de l’aubergiste, qui, par reconnaissance anticipée, lui avança trois pièces de 5 Francs nécessaires aux frais de son voyage.
La comédie ainsi terminée, le soi-disant négociant de Metz alla retrouver le faux Polonais, qui l’attendait non loin de là et tous deux disparurent. L’idée vint au nouveau possesseur de vérifier la valeur du bijou qu’il avait entre les mains. Il s’en fut gaîment trouver un bijoutier de la ville, auquel il montra ce trésor. Mais, hélas ! le trésor fut estimé à 5 Francs !
C’est alors que, honteux et confus, il jura un peu tard qu’on ne l’y prendrait plus. Quant à la boîte aux valeurs, elle a été ouverte ; elle contenait du sable. »
Cette méthode était appelée vol à l’américaine. (Les filous ne sont pas nés de la dernière pluie. On s’attaque plutôt aujourd’hui aux secrets inscrits dans les cartes bancaires. Les escrocs de l’époque n’avaient pas à découvrir le code personnel et il fallait, au XIXème, faire toute une mise en scène pour berner le gogo. Les voleurs devaient être de bons acteurs et bons négociateurs).
Au fait, sauriez-vous calculer la perte sèche de la victime, sachant qu’il n’aurait jamais osé offrir le bijou à sa femme et qu’il s’en débarrassa au prix estimé par le bijoutier ?
