Connaissance du Patrimoine Culturel Local
Le Petit Journal
de Sainte-Ménehould
et ses voisins d'Argonne
Edition régulière d'un bulletin traitant de l'histoire, des coutumes et de l'actualité.


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UNE MONTGOLFIERE A SERVON EN 1785

   par Louis Brouillon



Alors que les montgolfières connaissent une vogue en faisant soit des objets de compétition, soit des supports publicitaires spectaculaires, il semble intéressant d’évoquer les débuts de cet engin volant, surtout que l’Argonne y a joué, bien malgré elle, un certain rôle.

Ainsi, nous reproduisons un texte paru dans l’annuaire Matot Braine en 1933. Il est dû à Louis BROUILLON, celui-là même qui publia, en 1909, une histoire de Sainte-Ménehould.

Quand, avec une remarquable ténacité, le professeur PICCARD et son assistant COSYNS tentèrent et réussirent, le 18 août 1932, une deuxième et émouvante ascension dans les régions réputées inaccessibles de la stratosphère, ce fut, pour le ballon sphérique, depuis longtemps délaissé par l’engouement populaire, un regain d’actualité.

Il n’est pas sans intérêt de rappeler qu’une des toutes premières et des plus encourageantes manifestations aéronautiques eut son dénouement aux environs de Sainte-Ménehould.

Le 5 juin 1783 avait été lancée, sur une place d’Annonay, la première montgolfière non montée. Le 21 novembre suivant, le marquis d’Arlandes et Pilâtre de Rozier osèrent confier leur vie à une montgolfière libre, c’est-à-dire à un ballon sphérique, à peu près analogue dans son ensemble à ceux qu’on voit encore de nos jours, mais gonflé à l’air chaud au moyen d’un feu entretenu à la partie inférieure. Quand on activait le feu, le ballon montait. Quand on le diminuait, le ballon redescendait. L’aérostat de Pilâtre de Rozier, parti du château de la Muette, alla tomber, vingt-cinq minutes après, au moulin de Croulebarbe.

De ces étonnantes tentatives, qui soulevaient à Paris un enthousiasme analogue à celui que provoquèrent les premiers aéroplanes et dont l’une, le 14 juin 1785, coûta la vie au malheureux Pilâtre de Rozier, aucune n’était connue en Champagne autrement que par ouï-dire, quand le 26 août 1785, la situation se modifia du tout au tout. Ce jour là, à dix heures du matin, deux hardis voyageurs, l’aéronaute Blanchard [1] et le chevalier de l’Epinard, tentèrent une ascension à Lille en montgolfière libre, gonflée à l’hydrogène. Cette montgolfière, de forme ovoïde, était ornée, suivant la mode du temps, de nœuds, de rubans, de guirlandes et de lambrequins, faits d’étoffes artistement drapées. Le majestueux appareil, poussé par un vent favorable, évolua, non vers la capitale, que Blanchard, porteur d’un magnifique bouquet pour le roi, se proposait d’atteindre, mais dans la direction du sud-est, à une vitesse qui, alors, paraissait surprenante et qui, en réalité, pouvait être de quarante kilomètres à l’heure, la vitesse moyenne d’une automobile il y a trente ans.

Vers les quatre heures de l’après-midi, le ballon passa aux environs de Reims, provoquant à son passage un émoi fort explicable. Puis ce fut la traversée de la lande champenoise, d’où les oiseaux de proie, effarouchés, s’enfuirent éperdus.

Moins de deux heures plus tard, les précurseurs de Costes et Bellonte opéraient, avec autant d’adresse que de succès, leur descente à Servon. En quelques minutes, le village entier fut sur pied, mais loin de recevoir à coups de fourche les intrépides voyageurs, comme avaient fait précédemment d’une montgolfière des indigènes de Gonesse, les laboureurs d’Argonne s’empressèrent de leur offrir leurs services, leur vinrent en aide et, sous leur direction, démontèrent et rangèrent toiles, agrès et cordages. La nacelle fut conduite au presbytère, où le curé, aussi intelligent que serviable, fit aux téméraires pilotes, le plus cordial accueil.

Sur leur demande, il fit préparer une voiture dans laquelle tous trois montèrent pour se rendre à Grandpré, chez le marquis d’Ecquevilly, propriétaire du château qui dominait cette petite ville. Là les attendait une somptueuse hospitalité. Les aéronautes passèrent la soirée au château, où un dîner fut donné en leur honneur et où ils séjournèrent jusqu’au lendemain matin. Le 27, le marquis mit ses équipages à la disposition des voyageurs qui, en grande pompe, furent conduits à Sainte-Ménehould. Le maire, le conseil de ville et la compagnie de l’Arquebuse, prévenus dès la veille, les attendaient à l’entrée de la ville. On leur offrit un vin d’honneur et, après la harangue obligée, on leur présenta des branches de laurier.

Entourés de toute la population, ils se rendirent à l’hôtel de ville où, dans la salle décorative où se réunit aujourd’hui le conseil municipal, un banquet avait été préparé en leur honneur. Après le festin, un procès-verbal fut dressé, relatant les péripéties de leur expédition et celles de la réception qui l’avait suivie. Les aéronautes, arrivés de Lille à travers les nuées, repartirent plus bourgeoisement pour cette ville dans un cabriolet que leur prêta obligeamment le marquis d’Ecquevilly.

On fit, au sujet de cette brillante ascension, de jolis vers, dont voici les mieux réussis :

« Célèbres voyageurs, de vos généreux hôtes

Vous exaltez l’accueil flatteur et gracieux !

Qu’on vous ait, à Grandpré, reçu comme des Dieux,

Intrépides aéronautes,

Je n’en suis pas surpris : vous arrivez des cieux. »

A ceux de nos contemporains qui seraient tentés de sourire d’un enthousiasme qui sans doute leur paraît excessif, il n’est pas superflu de faire remarquer qu’eux-mêmes, si expérimentés soient-ils, y regarderaient à deux fois avant de confier leur vie à un appareil aussi primitif qu’une montgolfière. Pilâtre de Rozier “ et il en aurait été de même de tout autre en semblable cas “ paya de sa vie le mauvais fonctionnement d’une soupape.

Notes

[1BLANCHARD Jean-Pierre (1753-1809), aéronaute français qui réussit une ascension avec son ballon quelques mois après la première réalisée par Pilâtre de Rozier (1784). Un an après, il effectue la première traversée de la Manche et en 1793, au cours d’une visite en Pensylvanie, la première ascension en ballon aux Etats-Unis.

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