Un curé bien banal.
Peu de choses différenciaient Jean Meslier, curé d’Etrepigny, des autres ecclésiastiques de son époque. Il avait pris la charge de cette paroisse ardennaise en 1689 à l’âge de vingt-cinq ans. On ne lui connaissait pas de vices et il menait une vie calme et rangée. A peine se souvenait-on qu’il avait pris partie pour les paysans de sa paroisse maltraités par le seigneur de Touilly. Il était allé jusqu’à dénoncer cette situation en chaire et en présence du noble responsable de ces exactions. Cela lui avait valu en 1716, de vives remontrances de la part de l’Evêque de Reims et un rapport sévère où il lui était reproché de « mal parler contre les seigneurs et les grands du monde ». Le curé d’Etrepigny choisit alors de faire profil bas [1] et de mener sa paroisse sans créer plus de vagues. Un second rapport daté de 1722 lui est favorable. Mais jusqu’à la date de sa mort, Jean Meslier prépare secrètement une vengeance posthume qui aura de considérables répercussions.
Un testament anti-religieux et iconoclaste.
Dans une lettre qu’il laisse à son chevet, il souligne qu’il a enseigné la religion « avec beaucoup de répugnance et assez de négligence ». Voilà qui étonnera les paroissiens et curés voisins venus lui rendre une dernière visite. Mais ces derniers ne sont pas au bout de leurs surprises : le curé les avertit qu’il a laissé un testament dans la sacristie. Ce testament ne parle pas des maigres biens matériels que Meslier laisse ici bas aux pauvres du pays. Il s’agit en fait d’un tas de plus de trois cents feuilles recouvertes d’une écriture fine et serrée, et enveloppées dans un papier gris. La couverture porte le long titre évocateur :
« Mémoire des pensées et des sentiments de Jean Meslier »
« Prêtre, curé d’Etrepigny et de Balaives, sur une partie des erreurs et des abus de la conduite du gouvernement des hommes où l’on voit des démonstrations claires et évidentes de la vanité et de la fausseté de toutes les divinités et de toutes les religions du monde pour être adressé à ses paroissiens après sa mort et pour leur servir de témoignage de vérité à eux, et à tous leurs semblables. »
On ne saurait être plus clair. Et pour enfoncer le clou, l’auteur des 8 preuves énumérées dans l’ouvrage appelle les peuples à « pendre le dernier roi avec les boyaux du dernier prêtre ».
On peut deviner la consternation des représentants du clergé qui découvrent cet écrit, assorti d’un appel régicide. Consternation qui vire à la panique quand on apprend que le malin curé, ne voulant laisser son œuvre se perdre, en a rédigé deux autres copies. Des trois originaux, l’un fut conservé par le garde des Sceaux Chauvelin après être passé dans les mains d’un notaire de Mézières nommé Leroux, le second se trouve sur le bureau du Grand Vicaire de Reims et le troisième fut consigné au greffe de la justice de Sainte Ménehould.
A partir de 1734 ou 1735, l’ouvrage fut recopié pour être diffusé de manière clandestine. C’est à cette époque que Voltaire apprend l’existence de copies qui circulent dans Paris à plus d e 100 exemplaires [2] . Il reprendra ces textes pour les publier en 1762, expurgés et trahis. En 1795, les trois manuscrits originaux entrent à La Bibliothèque Nationale où ils sont cotés 19458, 19459 et 19460. Il faudra attendre 1830 pour qu’une maison d’édition en imprime quelques centaines d’exemplaires.
Notes
[1] Loin de se repentir en chaire, il gardait une grande dignité : « Voici, dit-il, le sort ordinaire des pauvres curés de campagne, les archevêques qui sont de grands seigneurs, les méprisent et ne les écoutent pas. Recommandons donc le seigneur de ce lieu. Nous prierons Dieu pour Antoine de Touilly : qu’il le convertisse et lui fasse la grâce de ne point maltraiter le pauvre et dépouiller l’orphelin ».
[2] Les Philosophes se prirent de passion pour ce curé et ce testament qui aurait été publié en Hollande très tôt. Voltaire : « Le testament de Meslier fait un grand effet. Tous ceux qui le lisent demeurent convaincus. Cet homme discute et prouve. Il parle au moment de sa mort, au moment ou les menteurs disent vrais ». D’Alembert : « Il me semble que l’on pourrait mettre sur la tombe de ce curé : Ci-gît un fort honnête prêtre qui en mourant a demandé pardon à Dieu d’avoir été chrétien, ce qui prouve que 99 moutons et un champenois ne font pas cent bêtes. »