La ville du moyen-âge, cernée de remparts, était traversée par l’Aisne qui, après avoir reçu les eaux de l’Auve, se partageait en deux bras. Il y avait donc alors deux ponts et une île, car les deux bras se réunissaient avant la sortie de la cité.une impasse de la ville est encore aujourd’hui nommée « Impasse de l’Ile ».
Ces ponts, comme le montre le plan qui accompagnait l’ouvrage d’histoire de Claude BUIRETTE (1837) supportait des maisons, ce qui a certainement facilité la progression des flammes du terrible incendie qui ravagea la ville en août 1719. La reconstruction allait donner une ville neuve avec un nouveau pont, dont la première pierre fut posée le 18 juillet 1724.
Les bras de la rivière avaient été, d’après la volonté de l’architecte Philippe de la FORCE, supprimés pour que la rivière ne coule qu’en un seul lit. Le pont était formé de trois arches et, accolé au parapet nord, une descente caillouteuse amenait à l’abreuvoir. C’est ce pont que nous montrent toutes les cartes postales du début du XIXème siècle et des années qui suivirent, car la première guerre mondiale l’épargna.

C’était le seul pont dans l’enceinte de l’ancienne ville et le seul en pierre, à l’opposé de ses confrères, comme le pont de la route qui mène en Lorraine et qui fut en bois jusqu’en 1908. De « pont des bois » celui-ci devint « pont rouge ».
Des personnages célèbres le franchirent : Louis XV, bien sûr, puisque c’est sous son règne que fut reconstruite la ville, Louis XVI, qui le franchit deux fois en deux heures, les 21 et 22 juin 1791. Puis, Napoléon, venu féliciter Drouet et encore Louis Philippe qui voulait revenir sur le champ de bataille de Valmy. Encore Victor Hugo, venant de Châlons pour aller coucher un soir de juin 1838 à l’hôtel de Metz et en 1956, la statue de Dom Pérignon, sculptée à Châlons et promenée à travers la ville avant d’être placée à l’entrée du jardin public.
Juin 1940 : les armées allemandes ont déjà bombardé la ville, causant des dégâts importants : 279 maisons détruites, 82 endommagées (selon E. BAILLON, histoire de la ville). Le 12, le génie français décide de faire sauter les ponts pour retarder l’avance des troupes ennemies. Le pont de pierre sera une des premières victimes. Les deux maisons de chaque côté de la route près de la voie ferrée seront aussi détruites.
Le pont fut reconstruit pendant l’occupation allemande, mais avec deux arches seulement. Une passerelle de bois avait été placée en aval, tout près du pont.

Photo fournie par M. Louis Michel
Un accident peu banal arriva à cet endroit : un camion allemand chargé de bouteilles de champagne dévala la rue Florion à trop grande vitesse et, ne pouvant négocier le virage que présentait la passerelle, finit sa course, avec son chargement, dans la rivière
Mais c’est surtout en 1944 que le pont allait entrer dans l’Histoire. le 30 mai, les Américains étaient aux portes de la ville, les ennemis finissaient leur retraite. Le pont fut à nouveau miné, par les Allemands cette fois, et aurait dû sauter si un groupe de patriotes n’était intervenu.
Maurice JAUNET, chef des pompiers, demanda l’aide de quelques ménéhildiens. Il plaça un guetteur route de Chaudefontaine pour surveiller une éventuelle arrivée d’ennemis. La voiture allemande qui parcourait en observateur les rues de la ville s’était éloignée. Il fallait faire vite. Une colonne qui battait en retraite pouvait arriver à tout instant. Maurice JAUNET et quelques compatriotes s’élancent. On franchit le parapet, on s’agrippe. Les charges qui devaient faire sauter l’ouvrage sont jetées dans la rivière. Des Allemands, montés dans une voiture beige à Croix Rouge arrivaient peu après. Ils mirent le feu dans une remorque stationnée devant l’hôpital. l’opération de déminage avait pris peu de temps. Le pont était sauvé, l’avance des Américains ne serait pas retardée.
Pour que l’Histoire n’oublie pas cet acte de courage, une inscription fut gravée dans les deux parapets du pont : « Ce pont, ainsi qu’une notable partie de la ville, ont été préservés de la destruction sur l’initiative de Maurice JAUNET, aidé par un groupe de patriotes, le 30 août 1944. »
Puis le pont a vu un jour disparaître le grand lavoir, où les dames aimaient se raconter les potins de la ville. Les chars ont depuis longtemps laissé la place aux poids lourds et d’autres convois exceptionnels et une petite sœur est apparue dans les années 90 au fond du Quai Valmy : une passerelle. Et puis est venu le temps des kayaks, des pédalos, des vasques de fleurs et des touristes à qui l’on raconte l’histoire d’un pont nommé « pont de pierre ».