---------Si Damia chantait gaiement « La guinguette a fermé ses volets », c’est avec tristesse et regret que j’écris : « Notre boucherie a fermé ses volets ».
---------C’est en effet depuis le 27 Septembre 2008 que la boucherie charcuterie « VIGOUR » à Villers-en-Argonne a cessé ses activités. Dans un village, un commerce qui ferme, c’est un peu de vie qui s’en va. Un commerce est un lieu de rencontres, un lieu où l’on parle, où l’on apprend les nouvelles. La boucherie, comme beaucoup de commerces de village, faisait épicerie, bar, dépôt de journaux. Chaque matin, un petit groupe de retraités venait chercher son journal et « taillait une bavette » en commentant l’actualité. D’autres venaient boire un petit café.
---------C’est en 1946 qu’Edmond Vigour reprit la boucherie Morlet avec son épouse Lucette. Pour tout le monde c’étaient « la Lulu ! » et « le Monmon ! ». Lui était originaire de Ballay, dans les Ardennes, et avait fait son apprentissage chez son frère Paul, aux Islettes. A Villers, à cette époque, outre la boucherie, il y avait aussi une boulangerie, deux épiceries (le Goulet Turpin et Les Ecos), deux bistrots, un garagiste.
---------En1962, son fils Jackie, le certificat d’études en poche, rejoint son père et apprend le métier. Il se marie avec Monique Notat en 1971 et tous les quatre travaillent alors à la boucherie-charcuterie « VIGOUR Père et Fils ».
A cette époque, les bouchers achetaient leurs bêtes sur pied et les tuaient à l’abattoir de Sainte-Ménehould qui a fermé ses portes dans les années 85-86. On savait alors de quelle ferme venait la viande que l’on consommait. Petite anecdote : quand la bête provenait d’une ferme ayant bonne réputation, le boucher ne manquait pas de le signaler à ses clients. Quand, par contre, la ferme avait moins bonne réputation, il évitait le sujet et parlait plutôt de la pluie ou du beau temps. Ils font aussi des tournées et desservent une quinzaine de villages. Jackie a connu dans certains villages quatre générations qui se retrouvaient au camion. Il vendait alors un beefsteak haché pour la grand-mère qui n’avait plus de dents et un autre pour la petite fille qui n’avait pas encore toutes les siennes. Chaque enfant qui accompagnait sa mère recevait une rondelle de saucisson. C’était la coutume.
---------En 1980, les parents prennent leur retraite. Malheureusement Edmond décède en 1986. Depuis l’arrivée des grandes surfaces, les petits commerces souffrent. C’est alors que Jackie et Monique décident de diversifier leur entreprise. Monique a fait l’école hôtelière et, à la ferme de la Hotte, où elle est née, elle a toujours beaucoup cuisiné avec sa mère. Ils se lancent donc dans la restauration, deviennent traiteurs. Le dernier café du village vient de fermer, ils rachètent la licence, agrandissent leur commerce. « La Lulu », toujours très active, les seconde dans leur travail.
---------En 2001, Jackie cesse les tournées mais continue ses livraisons sur commande. Leurs deux filles n’ont pas suivi les traces de leurs parents. En 2008, l’âge de la retraite pour lui, la fatigue pour elle, les amènent à penser à céder leur entreprise. Mais qui a envie de travailler la semaine, la nuit du samedi et souvent même le dimanche ? Il faut bien se résoudre à fermer. Nous n’irons donc plus acheter notre pot au feu, nos petites saucisses, notre andouille au village. Jackie a toujours fait sa charcuterie : pâtés, terrines, foie gras. Nous ne sentirons plus dans la rue la bonne odeur des oignons qui cuisent. On se disait alors : « tiens ! Demain j’irai acheter du boudin ! »
---------Ne soyons pas nostalgiques, ainsi va la vie, la boucherie est fermée, mais des jeunes ont repris la partie traiteur de leur entreprise. Jackie et Monique vont pouvoir transmettre leur savoir-faire et le goût du travail bien fait.
Le dernier jour.