Près du cheminement qui conduit au Cratère,
Juste au bas de la Main, se trouvait un verger
Dont les coloniaux ont fait leur cimetière.
A deux pas, c’est Massiges : un vaste amas de pierre
D’où l’église en débris semble seule émerger.
Non loi, des fils de fer dans un champ de luzerne
Partout des trous d’obus, des instruments cassés.
Le petit cimetière est plein d’arbres blessés ;
Et dans le sol ocreux d’un talus qui le cerne,
S’effondrent des abris à présent délaissés.
Les braves dorment là, nombreux. Leurs croix de planche
Portent sous la cocarde une plaque d’étain.
Pas un rameau de buis, pas même une pervenche.
Une croix, par moments, se brise ou bien se penche,
Ou bien un corps surgit quand un obus l’atteint.
Contre une croix plus grande à la hâte équarrie,
Erigée au milieu du petit champ des morts,
Sur une humble pancarte on lit sans trop d’efforts :
« Ceux qui, pieusement, sont morts pour la Patrie »
Oh ! les vers émouvants en ces tristes décors !
Et l’on admire enfin, contre la croix sévère,
Sous la couronne offerte en souvenir pieux
Et dont au gai soleil brillent les grains de verre,
Debout, comme jadis au sommet du Calvaire,
La statue en métal de la Reine des Cieux.
Grande, belle, très doue et la tête inclinée,
De ses mains écartant les plis de son manteau,
Elle bénit ces morts qu’exalte l’écriteau ;
Elle pleure tout bas l’église ruinée
Et Massiges défunte au pied de son coteau.
Or, maintes fois, criblant le petit cimetière,
A l’obus percutant succède le Shrapnell ;
Et bien rare est la tombe où la croix reste entière.
Mais comme si la Vierge était une guerrière,
Nouveau glaive un éclat frappe au cœur maternel !
Et voyant la statue et cette plaie ouverte,
Joyeux, venant du ciel, ô merveille ! un essaim,
Un essaim bourdonnant s’est logé dans son sein !
L’image mutilée est une ruche offerte,
Et l’éclat meurtrier dut frapper à dessein !
Peut-être à Minaucourt, ou dans Cernay, peut-être,
Quelque obus renversa la ruche en un courtil.
Mais le bien naît du mal quand Dieu veut le permettre.
Et l’essaim blond se fie aux paroles du Maître :
« Mon Père dans les cieux, prend soin du plus petit. »
Et les abeilles d’or ont refait leurs cellules,
Elles volent, sans trêve, aux trèfles de la Main,
Aux clos de Virginy qu’embaume le jasmin,
Aux glaïeuls que la Tourbe offre à ses libellules ;
Mais toujours la statue est au bout du chemin.
Et c’est une chanson sans fin parmi les tombes,
Un doux bruissement d’ailes dans la clarté.
Sans crainte des obus qui se croisent en trombes,
Sans souci de la balle ou des éclats de bombes,
Les abeilles refont leur miel en sûreté.
O Mère ! Elles sentaient que vous êtes l’asile !
Que vous êtes la Reine ayant guidé l’essor !
Que votre cœur si tendre est un sûr domicile !
Et pareil à l’essaim que la tempête exile,
Le pêcheur vient à vous dans l’ombre de la mort !