---------Cinquante ans après, le monde se souvient toujours avec la même horreur des folies exterminatrices de l’idéologie hitlérienne qui, au nom d’une prétendue purification ethnique, voulut rayer de ce monde homosexuels, tziganes, communistes et juifs. L’acharnement à faire disparaître le peuple juif s’abattit progressivement sur tous les pays d’Europe. Des victimes incrédules subirent avec « docilité » leur sort funeste, d’autres luttèrent, d’autres enfin, surent où se cacher, en France et à l’étranger.
---------Le terrain de cette chasse aux juifs avait été préparé par une propagande bien française, organisée par certaines forces politiques de droite et d’extrême droite, qui avaient créé un juif mythique riche, financier, cupide, anti-français, lié à une internationale souterraine. On verra que nos juifs ménéhildiens, pas plus le commerçant NORDEMAN, le cordonnier FINKELSTEIN, que les autres, n’ont rien à voir avec cette caricature démoniaque.
---------Les époux HUSSON [1] ont récemment étudié avec grand soin la seconde guerre dans notre département et, en particulier, la déportation des juifs. Pour notre part, nous voulons aujourd’hui évoquer l’histoire de deux familles juives ménéhildiennes, l’une que l’on peut considérer comme de passage, passage forcé, l’autre bien insérée depuis longtemps dans la vie de la cité. Nous allons les suivre durant ces années noires.
---------Monsieur Robert NORDEMANN, retraité à Reims, nous a reçu avec beaucoup de gentillesse. Il a passé toute sa vie de commerçant, avec son épouse, à Sainte-Ménehould, et nombreux sont ceux qui se souviennent de ses traversées périlleuses pour joindre ses deux magasins situés de chaque côté de « la Chanzy ». Bien volontiers, il s’est replongé dans ses souvenirs.
---------La guerre surprend la famille NORDEMANN alors qu’elle jouit d’une vie paisible et, somme toute, aisée dans sa bonne ville de Sainte-Ménehould.
---------Le grand-père s’est installé à Clermont comme commerçant et son fils Fernand naît en 1893. Il va donc, tout jeune homme, participer à la grande guerre. Il sera blessé aux Eparges et reviendra « grand blessé de guerre », un bras atrophié pour la vie. Il va alors venir travailler comme vendeur chez son oncle, Maurice NORDEMANN, qui tient commerce rue Chanzy, à Sainte-Ménehould. Nous sommes en 1921. Tout va s’accélérer pour Fernand. Cette même année, il se marie ; en 1922 naît son fils unique Robert et il succède à son oncle. En 1937, le voilà conseiller municipal, car chez les NORDEMANN, on est juif, certes, mais avant tout Français. On manifeste beaucoup plus d’intérêt pour la citoyenneté française que pour la religion de Moïse. La famille bénéficie d’une parfaite intégration dans la cité. L’oncle Maurice, élu dès 1925 conseiller municipal, bénéficie d’une notoriété affirmée. Le neveu prend donc la succession dans l’assemblée municipale. Le regain d’antisémitisme qui s’élève en France, à partir de 1936, n’affecte en rien cette famille bourgeoise dans la pure tradition ménéhildienne aux fermes convictions radicales, très liée à Alix BUACHE, le futur maire de la Libération et qui n’entretient aucun lien particulier avec les autres familles juives du secteur. Il ne faudrait pas croire qu’il s’agit là d’un cas particulier. Bien des familles juives françaises vivent leur particularisme ainsi, dans une paisible banalité.
---------Le début de la guerre ne sort guère non plus de la normalité : l’expectative durant la drôle de guerre, puis la panique devant l’avance des troupes allemandes. C’est l’exode. Le père, grand blessé n’est pas mobilisé ; le fils, qui vient d’être opéré, non plus. Les voilà tous les trois dans leur voiture roulant en direction du sud, emportant tout ce qu’ils avaient de plus précieux. Ils échouent à Saint-Foy la Grande, en Gironde. Une famille leur fait de la place et ils vont vivre ainsi tous les trois dans cette maison, en dépensant avec parcimonie leurs économies. Robert trouvera un petit emploi de commis chez un parfumeur.
---------L’occupation allemande bien établie, les gens « du Nord » remontent progressivement vers leur domicile. Prudent, Fernand écrit au maire, Monsieur VATIER, pour savoir si le retour d’un commerçant français, mais que chacun sait juif, peut se faire en toute sécurité. Même si les exactions anti-juives n’étaient pas encore d’actualité, les premières mesures avaient été prises : recensement des juifs dans les zones occupées dès l’automne 1940. Le maire questionne l’officier allemand commandant la place, qui répond : « Je n’ai rien contre lui, mais qu’il reste où il est ». On suivra ce conseil de prudence. En 1942, c’est le conseil de révision pour le fils, qui se trouve réformé. Et on va ainsi attendre les événements.
---------A Sainte-Ménehould, la maison et les magasins sont pillés. L’ami Alix BUACHE fait ce qu’il peut pour sauvegarder les biens de cette famille. Ainsi, il place les meubles en sécurité chez des employés municipaux.
Après la libération, au retour qui se fait en train, la famille découvre donc un patrimoine dévasté. Il faut retrouver son courage. A-t-on le droit de faire autrement, lorsque l’on sait que, somme toute, on a connu un sort que bien d’autres familles juives peuvent envier ? En cette période difficile, les NORDEMANN bénéficient de la solidarité de leurs concurrents, les commerçants PHILBERT-BOUSSELIN et VERGNE, qui les dépannent par un prêt de mobilier qu’ils peuvent mettre à la vente.

Fernand NORDEMANN et son épouse Irène à l’heure de leur retraite.
---------Les années suivantes furent plus sereines. Fernand sera de toutes les manifestations patriotiques, Robert et son épouse prendront progressivement la responsabilité du commerce. Une vie sans histoire, ou presque