---------Ce nom ne vous dit rien ? Pourtant, je suis bien sûre que vous n’avez pas oublié celui qui a été baptisé ainsi : l’ouragan qui, un certain 26 décembre 1999, a tout ravagé en Argonne et ailleurs.
---------Les indéniables changements climatiques “ qu’ils soient ou non dus à l’inconscience des hommes “ en laissent présager d’autres. Notre météo, malgré tous ses progrès, ne peut pas faire de prévisions à long terme.
---------Aussi, pour essayer de percer les intentions du Dieu Eole pour l’année à venir, je vous recommande très vivement d’adopter une très ancienne coutume ardennaise : l’observation, depuis le sommet d’une colline dégagée, de la bataille que se livrent les vents chaque année dans la nuit du 24 au 25 janvier. En voici le déroulement :
---------Tout d’abord, confectionner, dans l’après-midi du 24, un entremet de circonstance, destiné à vous réconforter au retour de l’expédition.
LE SOUFFLE DES QUATRE VENTS
[1]
---------Pour six personnes : 5 œufs, 50g de beurre, 200g de sucre, 625g de lait, 100g de farine.
---------Mettre le beurre dans une casserole, le faire fondre, y délayer la farine, mouiller avec le lait. Faire bouillir en remuant bien pour éviter les grumeaux. Laisser refroidir et ajouter le sucre, les jaunes d’œufs, puis les blancs battus en neige très ferme.
---------Verser dans un moule à charlotte caramélisé et faire cuire au bain-marie, à four moyen, de ¾ d’heure à 1 heure. Il doit être onctueux au couteau.
---------Démouler froid. Peut se faire la veille.
°
° °
---------Dès que la nuit sera tombée, vous vous dirigerez en cortège vers le sommet de votre choix, chacun portant une torche allumée. Pour notre région, les hauteurs de Valmy semblent tout indiquées : le fantôme du moulin ne gênera pas vos observations !
Le Moulin de Valmy, trois ans après Lothar
Photo C. CAPPY
---------Il vous faudra ensuite attendre le douzième coup de minuit pour savoir dans quel sens les torches découpent la nuit. Le vent vainqueur dominera toute l’année [2] . Et gare, si c’est celui du Sud-Ouest, car c’est généralement lui qui apporte les tempêtes !
---------Les commentaires que vous ne manquerez pas de faire vous feront trouver court le chemin du retour, d’autant plus que l’image du soufflé, convenablement refroidi et doré à souhait, vous fera saliver à l’avance.
C’ETAIT IL Y A TROIS ANS
---------La vue du moulin détruit ravive des souvenirs, restés aujourd’hui bien vivaces, comme en témoignent les deux récits qui suivent. Gilbert ARBELIN, bûcheron occasionnel, qui habite Dommartin-sur-Yèvre, raconte :
---------« Le matin du 26 décembre 1999, j’ai rendez-vous avec mon fils Eric en forêt de Monthiers, près du Châtelier, où nous devons couper du bois. Nos chantiers sont à peu de distance l’un de l’autre. Nous arrivons sur place vers neuf heures. Je gare ma voiture à l’entrée de la route de la Réserve et lui, la sienne, un peu plus bas, à mi-côte de Cazon. Ni l’un ni l’autre n’avons écouté la radio avant de venir. Le vent souffle fort, mais nous en avons l’habitude. Nous commençons à travailler, chacun dans sa coupe.
---------Soudain, vers neuf heure et demie, j’entends un grand bruit, comme une énorme giboulée de grêle. Les têtes d’arbres se mettent à voler et à retomber dans tous les sens. Je retourne aussitôt vers ma voiture, pour rentrer chez moi, persuadé qu’Eric faisait de même. Mais impossible de rejoindre la route de Sommeilles ! Les arbres tombés m’ont vite obligé à faire demi-tour. Je repars alors dans l’autre sens, vers la route Romaine. Tronçonnant, avançant, reculant, zigzagant entre les arbres qui continuaient de s’abattre, j’ai enfin réussi à l’atteindre ; mais j’étais encore loin du but, car en plus du grand détour que je devais faire pour rejoindre Dommartin, la route était encombrée de panneaux indicateurs tordus, de lignes électrique arrachées et autres obstacles.
---------Je n’avais qu’une idée en tête, rentrer à la maison. La voiture n’avançait que difficilement, en crabe, la tempête étant toujours aussi violente. Pas très loin de Dommartin, la ligne à haute tension est tombée au moment où je passais. Un violent coup d’accélérateur m’a sauvé la vie.
---------Enfin, vers midi et demi, j’arrive chez moi, après avoir essuyé une averse de tuiles faîtières. Et là, j’apprends qu’Eric n’est pas rentré ! C’est seulement à ce moment que j’ai vraiment eu peur. Etait-il blessé ? Je repars aussitôt, accompagné, cette fois, de mon futur gendre. La tempête s’était calmée. Nous réussissons, avec bien du mal, à rejoindre le Châtelier, en début d’après-midi. Je demande au café si quelqu’un a vu mon fils, mais personne ne le connaît. Nous reprenons la route. Environ à un kilomètre du village, nouvel obstacle ! Deux gros arbres, que je ne peux pas tronçonner, sont tombés au travers du chemin. Impossible d’aller plus loin en voiture. Contournant, escaladant, nous continuons comme nous pouvons, l’angoisse au ventre.
---------Et soudain, qui voit-on arriver ? Eric, à pied, tronçonneuse sur l’épaule, épuisé, mais pas blessé. Il avait réussi à redescendre sa voiture près de l’étang de Cazon, où elle était un peu abritée. Puis il est parti vers le Châtelier, se frayant difficilement un chemin. Les arbres continuaient à tomber : Il a mis plus de trois heures pour faire un kilomètre et demi ou deux et sortir du bois, là où il nous a retrouvés.
---------De nouveau, direction Dommartin où les réparations les plus urgentes sur la maison nous attendaient. Nous n’avons même pas pris le temps de manger ! D’ailleurs, personne n’avait faim » Eric n’a récupéré sa voiture que trois jours après, quand les chemins ont été dégagés.
Dégager les routes forestières, un travail de Titan
Photo C. CAPPY
---------Fabien PEKUS, vétérinaire à Sainte-Ménehould, évoque, lui aussi, ses souvenirs :
---------« Ce matin du 26 décembre 1999, je suis de garde. Vers neuf heures, j’aperçois bien quelques cartons volant devant la fenêtre, car le vent souffle fort, mais je n’ai aucune idée de ce qui se passe. Et puis soudain, vers neuf heures et demie, je reçois trois ou quatre appels d’affilée, tous extrêmement urgents provenant de plusieurs villages, entre autres Rapsécourt et Voilemont.
---------Je pars aussitôt en voiture, sans me soucier du vent que je ne soupçonnais pas si violent. La route est encombrée de panneaux brisés, d’arbres déracinés, de lignes électriques pendantes. Impossible de passer ! Je dois faire demi-tour et essayer un autre chemin.
---------C’est seulement en arrivant sur place que j’ai pu mesurer toute l’ampleur de la catastrophe. Trois exploitations surtout étaient très touchées : les étables écroulées, retournées sur les pauvres bêtes écrasées sous les décombres. Certains animaux blessés s’étaient échappés, d’autres avaient été lâchés par les éleveurs, essayant d’en sauver un maximum. Ailleurs, les tôles ondulées s’envolant des toits coupaient comme des couteaux et, en retombant, blessaient profondément les bêtes, leur faisant de grandes entailles.
---------Mon associé, venu à la rescousse, et moi-même, n’avions qu’une idée en tête : répondre à tous les appels. Dure journée ! La majorité des bêtes blessées ont du être euthanasiées. Certaines sont malheureusement restées une journée ou deux sous les décombres, paralysées, la colonne dorsale fracturée. Il était impossible de déblayer plus vite. Les éleveurs étaient sous le choc, désespérés, effondrés, pleurant leurs animaux et leur exploitation détruite.
Une grande solidarité est vite apparue ; tout le monde se serrait les coudes, car, dans les jours qui ont suivi, d’autres problèmes se sont posés : les jeunes veaux, qui n’avaient pas de toit pour les protéger, tombaient rapidement malades. Pendant une semaine, l’électricité a fait défaut. Un groupe électrogène passait de ferme en ferme pour permettre la traite.
---------Malheureusement, beaucoup n’y ont pas eu accès. Les personnes expérimentées ont bien essayé de traire à la main, mais sans succès : les trayons, adaptés à la traite mécanique, étaient devenus trop petits. Les bêtes gardaient leur lait, ce qui a provoqué de nombreuses mammites [3], malgré la pose de sondes qui permettaient un peu l’écoulement du lait.
---------Je ne peux décrire ici toutes les conséquences qui sont apparues à long terme : elles ont été très nombreuses. »
---------L’Argonne marnaise a payé un lourd tribut à Lothar. Sa forêt a été profondément mutilée, saignée à blanc par endroits : 1.546 hectares, situés principalement au sud de l’autoroute A4 ont été détruits de 50 à 100%, 2.578 hectares de 10 à 50% et 9.315 hectares n’ont subi que des dégâts diffus de 0 à 10%.
---------Le volume des châblis [4] n’a pu faire l’objet que d’une estimation moyenne approximative : environ 550.000 m3 pour les deux premières classes de dégâts et 275.000 m3 pour les dégâts diffus, encore plus difficilement chiffrables [5]. Il faudra des dizaines d’années (sans tempêtes !) pour reconstituer les peuplements détruits et effacer les cicatrices
La sculpture selon Lothar
Photo C. CAPPY
---------Seuls, les animaux sauvages ont échappé au désastre. Très peu d’entre eux ont été retrouvés blessés ou morts. Ils s’étaient mis à l’abri dans les fourrés ou étaient sortis en plaine. Ils avaient senti venir le vent