La Champagne a des vins exquis ;
Le soleil de la Corse
Des châtaignes dans les maquis
Durcit la brune écorce ;
La Préfecture a son Préfet,
La Grèce son histoire ;
Mais, Sainte-Ménehould a fait
De pieds de cochon, s’il vous plait,
Sa couronne de gloire.
O Sainte-Ménehould,si fière
De tes fameux pieds de cochon,
Moins qu’à Thèbes dans sa poussière
Moins qu’aux débris du Parthénon,
Honneur à tes pieds de cochon !
Plus fins que les petits oiseaux,
Le fait est très notoire,
On peut en grignoter les os
Comme on mord une poire.
Fut-on pris d’un chagrin mortel,
On se sent le cœur aise,
Quand Bazinet, autre Vatel,
Vous les offre dans son hôtel,
Sur un réchaud de braise.
O Sainte-Ménehould
Vit un des nôtres naître ;
Mais devant nos droits oubliés,
Drouet que rien n’apaise
Ne sauva nos murs foudroyés
Qu’en faisant toucher par ses pieds
Les pieds de Louis Seize.
O Sainte-Ménehould
O mon vieux frère de prison,
Ce matin, l’œil farouche,
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Horace qui n’a rien chanté
De laid et d’incommode
Les eût pour la postérité
Célébrés dans son ode.
Au pied de cochon souverain
Sur lequel Dumas glose
Hugo dans son livre du Rhin,
Ventre à table, l’esprit serein,
Fit une apothéose.
O Sainte-Ménehould
Le bon Delille, s’il errait
Sur cette terre encore,
A ses idylles il coudrait
Par une métaphore :
Il nous conterait dans ses vers
Que les héros de Sparte,
Ne vivant que de cressons verts,
Ne mangeaient pas pour leurs desserts
Des pieds de Bonaparte.
O Sainte-Ménehould
Loriquet m’a dit sur le ton
D’un curé petit maître,
Que la ville aux pieds de cochon
Je rodais, sans qu’une chanson
Vint effleurer ma bouche.
Mais les pieds de cochon sont là ;
Ma gaîté se réveille,
Et je te rime sur cela
Cet impromptu qui durera
Autant qu’une bouteille.
Clovis HUGUES
Prison-Tours, janvier 1874
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