Exode, débâcle, voilà les deux noms que l’on associe le plus souvent à l’invasion de la France par les troupes allemandes en juin 1940. L’armée française, mal équipée, mal commandée, est mise en déroute. Et pourtant, certaines unités luttent héroïquement contre l’envahisseur. Il en sera ainsi à Bournonville, hameau proche de La Neuville aux Bois. Et là comme ailleurs, le comportement des troupes coloniales sera exemplaire. Nous sommes donc le 12 juin 1940. Le front établi par les Français sur l’Aisne a été franchi le 5 juin. Les troupes allemandes progressent rapidement vers le sud et l’ouest. (Paris sera atteint le 19 juin) Elles rencontreront à Bournonville une résistance que relate, au lendemain de la guerre, un de ses acteurs.
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Le 12 juin, le 6ème régiment d’infanterie coloniale mixte sénégalais retraite, venant de Gratreuil. Le 13 à midi, il passe à la Chapelle-Felcourt et Valmy. A ce moment, le 3ème bataillon à ordre de se diriger sur Givry-en-Argonne. Il passe au Vieil Dampierre vers 16 heures et prend à travers bois (par le dépôt d’essence), pendant que le train hypo et auto continue par la route jusqu’à Bournonville.
Le bataillon arrive à Bournonville à 18 heures. Nous faisons former les faisceaux au moment où les mitrailleuses allemandes claquent à l’autre extrémité du village. Le chef de bataillon et l’état major de ce dernier s’installent dans le bois de Belval avec la 9ème compagnie. La 10ème, commandée par le capitaine Larroque, déjà
deux fois cité, blessé, évacué le 25 mai et revenu commander sa compagnie le 13 juin, prend position dans le bois près du dépôt d’essence. Ma 6ème compagnie s’installe dans le village avec ordre de tenir jusqu’à la mort.
La section du sergent David (évadé d’Allemagne et actuellement capitaine) est placée à l’est du village, flanquée d’un groupe de mitrailleuses de la CA 3. Ma section s’installe sur la partie située derrière la grande ferme au centre du village. N’ayant pas le temps de creuser des tranchées, mes hommes occupent les feuillées des troupes précédentes ! Toute la soirée et toute la nuit nous sommes mitraillés et bombardés. Le P.C. du lieutenant Blaineau, commandant la compagnie se trouve dans une petite maison au centre du village, entourée d’une barrière verte. Là s’installe aussi le poste de secours, où arrivent dès 22 heures des Sénégalais blessés, dont un a les deux jambes coupées et ne tarde pas à mourir. Le commandant de la compagnie hésite à faire partir par la route le train auto avec les bagages.
Après une nuit très agitée, à 4 heures du matin, les Allemands bombardent violemment le village. De nombreuses maisons sont en feu, dont la grange qui abrite notre train hypo et les cuisines roulantes, dont nous seront privés jusqu’au 23 juin. Il y a dans le village une telle fumée que la respiration devient difficile. A 6 heures, la 10èmècompagnie se replie sur le bois (P.C. du bataillon). Les Allemands attaquent et après de grosses pertes, nous recevons l’ordre de nous replier dans le bois de Belval. Il est 8 heures, je reçois la mission d’aller faire une reconnaissance sous bois. Au retour, le bataillon reçoit l’ordre d’attaquer pour reprendre le village où sont installés les chars allemands. Celle-ci se déroule selon le plan prévu, les Allemands, surpris, se replient laissant des blessés et du matériel : nous reprenons le village mais les chars ennemis nous obligent à nous retirer sur la lisière du bois.
C’est là, à mes côtés, que mon caporal-chef Monge est tué, d’une balle dans la bouche ( un livre, le « Mémorial de l’Empire » relate cette attaque, mais l’auteur, trop partial, n’a cité que sa compagnie et a oublié les noms de ceux de la 11ème qui ont fait la plus grande partie du travail). J’obtiens ce jour ma 3ème citation. Nous formons un point d’appui et enterrons nos morts : 2 Allemands et mon caporal-chef : cinq officiers sur sept sont blessés et évacués (ce sont les derniers qui pourront aller dans les hôpitaux de l’arrière : à 14 heures, au moment de prendre un peu de nourriture, je suis chargé de faire une liaison avec la 9èmècompagnie. A mon retour, à 19 heures, le bataillon reçoit l’ordre de repli en direction du village « Le Chemin ». Je suis chargé, avec ma section, qui pourtant n’en peut plus, de protéger la retraite. Je ne dois décrocher qu’une demie-heure après. Je fais feu de toutes mes armes, pour donner le change à l’ennemi. Il commence à faire nuit quand je quitte mes emplacements et me dirige avec ma section à travers bois jusqu’à un marais où se trouve une passerelle, mais ce ne sera que le lendemain vers 10 heures à Vaubécourt que je retrouvai ma compagnie, après une marche pénible à travers champs, villages en feu et en pleine nuit, sans carte ni boussole, nous avions seulement l’étoile polaire pour nous diriger : retraite d’autant plus pénible qu’il ne me restait plus aucun sous-officiers ni caporaux blancs.
A la 11èmècompagnie, il ne reste, le 15, que deux sections, celle du sous-lieutenant Delès et la mienne. Celle du sergent David a été faite prisonnière, celle de l’adjudant-chef Saintagne a été massacrée et tous ceux de cette section, à part les blessés, sont morts en héros. L’adjudant-chef a eu le bras arraché.
Le 16, nous apprenons que le 1er bataillon, commandé par le commandant Cordier, avait été surpris dans « Le Chemin », mis en colonne par 4 par les Allemands sur la route et fusillé en entier avec son chef. Avant de terminer ce petit récit, je veux rendre hommage à ces braves Sénégalais, qui venus du fond de l’Empire colonial, sont tous morts en héros.
Je souhaite que ces quelques dernières lignes, mal rédigées, par un ancien lieutenant de réserve de tirailleur Sénégalais, soient luent aux enfants des écoles, non pas pour leur inculquer la haine des Allemands, mais tout au moins pour qu’ils sachent ce que ce peuple est capable de faire.
Bligny sous Beaune le 12 septembre 1946
Gaiffroy