---------- Quand as-tu réellement pris le maquis ?
---------- Après le débarquement allié, le 7 juillet 1944, nous nous sommes installés dans la forêt des Hauts-Bâtis, pas loin de l’abri du Kronprinz. Nous avons fait des cabanes tout en branchages. Je me souviens du savoir-faire d’un garagiste, Bernard GILBERT, qui faisait de ces cabanes de véritables maisons. Au début, nous étions peu surveillés. La famille de Robert CADET de la Placardelle nous ravitaillait. Les choses ont commencé à se gâter en août, lorsque les Allemands ont investi Florent, prenant des otages, arrêtant Monsieur LEMAIRE de la ferme de la Renarde. Tous ces faits ont été relatés dans la brochure « Ceux de la résistance Argonne Marne » et dans des articles de presse, à l’initiative, en particulier de Madame NOIZET et de Roger JACQUEMET. Je ne tiens pas à y revenir, si ce n’est pour dire qu’après guerre, certains ont voulu tirer un peu la couverture à eux. En fait, toute l’action était collective : c’est le groupe qui agissait.
---------- Est-ce à dire qu’il y avait une solide entente entre tout le monde ?
---------- A la base, oui, une franche amitié, mais, au niveau des responsables, parfois des tiraillements comme dans tout groupe humain. Une anecdote : après la Libération, j’ai été contacté par PICQ, responsable du maquis pour la contrée, reparti à Strasbourg, pour que je forme une amicale d’anciens résistants. Mais il me précisait qu’il ne fallait pas en parler à CANONNE, pourtant responsable du secteur après l’arrestation de NOIZET.
---------Les questions qui fâchent
---------- Passons aux questions embarrassantes. Dans un précédent numéro, Armand KERSCHEN, chef d’escouade, narre son entrée dans Sainte-Ménehould et met en cause le manque d’audace du groupe.
---------- Je suis en accord avec lui. Deux groupes d’éclaireurs sont entrés dans la ville, l’un qu’il commandait et l’autre sous ma responsabilité (je me souviens qu’il y avait PELETIER). Le gros de la troupe devait nous attendre en haut de la côte de la rue de la Libération ; mais nous tombons sur une section d’Allemands en armes. Nous nous planquons le long de l’Aisne. La section passe. Notre travail d’éclaireurs terminé, nous remontons chercher le gros de la troupe pour leur indiquer le passage. Arrivés au carrefour, je constate qu’il n’y avait plus personne.
---------- Avaient-ils eu peur des Allemands ?
---------- On peut le penser. Alors nous sommes redescendus et nous nous sommes fait « arroser » par les Allemands. Nos camarades ne sont revenus qu’à trois heures du matin. C’est alors que nous avons commencé les premières visites de caves. Certes, c’était dangereux. Il y aurait pu avoir des coups durs. Mais à ce moment là, les Allemands n’étaient pas méchants. Ils savaient qu’ils étaient « cuits ».
---------- Il est difficile de parler de l’épuration et des sanctions imposées aux collaborateurs. Notre région compte encore des femmes qui ont été tondues pour avoir « fréquenté » des Allemands, d’autres qui ont dû se cacher. J’ai rencontré un ménéhildien âgé à l’époque de dix-huit ans et qui se souvient avoir lancé des fruits sur les tondues et plus tard arraché la perruque d’une qui se cachait ainsi de son « infamie ». Et toi, t’es-tu laissé prendre dans le feu de l’ action ?
---------- Ah non ! Mon seul but avait été de chasser les Allemands. Je n’étais pas d’accord avec ces mouvements qui s’enclenchaient dans le désordre, dans la foulée, sans aucun jugement, même sommaire, et peu compatible avec la dignité humaine. Et tout cela pour des flirts peut-être il est vrai un peu poussés. Je veux te raconter une histoire bien triste dont je fus témoin, en tant que membre du comité d’épuration. Le maire d’une commune voisine fut dégradé de la Légion d’Honneur. S’appuyant sur les rivalités du village, il fut condamné pour avoir porté l’uniforme allemand.
---------Voilà l’histoire :
---------A l’évacuation, ce cultivateur part vers le sud. Sa femme tombe malade et reste à l’hôpital à Dijon. Lui, rentre dans sa ferme occupée par les Allemands. Il reste sans nouvelles de sa femme. L’inquiétude le gagne. Un sympathique officier allemand qui logeait chez lui lui propose de le conduire en moto à Dijon. Pour se prémunir du froid et passer inaperçu, il doit mettre un casque et un ciré allemand. Ainsi, il put revoir sa femme qui mourut peu de temps après. La décision fut prise dans la pagaille, l’accusé n’ayant pas d’avocat. En fait, il n’avait rien à dire. C’était consternant.