Dans un passé relativement récent, le service militaire obligatoire concernait tous les jeunes hommes âgés de 20 ans. Les « appelés du contingent », surnommés « bidasses »" en référence à une célèbre chanson du comique Fernandel, s’acquittaient de cette obligation avec un zèle plutôt tiède (c’est un euphémisme !) car elle était un coup d’arrêt à leurs projets sociaux, professionnels, sentimentaux et autres
Il faut bien reconnaître que, passer 18 mois à éplucher des patates, manger les repas de l’ordinaire, laver et balayer les chambres, récurer les toilettes, s’épuiser à de longues marches, démonter et remonter de vieilles armes, etc, n’avait rien de très exaltant. Les sous-officiers de carrière qui assuraient l’encadrement étaient souvent tatillons, et les rapports avec les bidasses n’étaient pas vraiment empreints d’une grande sympathie ( autre euphémisme !). C’est avec une certaine impatience que les appelés attendaient la « Quille », c’est à dire la fin de leurs épreuves !
L’adjudant de compagnie, sous-officier de carrière chargé de faire régner la discipline et de veiller au strict respect du règlement militaire, était trop souvent un être borné et hargneux, qui considérait que sa mission était de mener la vie dure aux « jeunes blancs-becs », mission dont il s’acquittait avec un zèle tellement remarquable qu’il lui avait valu le sobriquet de « Chien de quartier ».
A Menou, entre les deux guerres mondiales, le Quartier Valmy abritait un régiment avec, bien évidemment, ses bidasses et son « Chien de quartier », un exemplaire particulièrement gratiné, qui avait été baptisé « Bouledogue », à cause de son abord particulièrement affable, de son caractère aimable et délicat et de sa bienveillance toute paternelle.
Les bidasses le détestaient cordialement et l’intéressé le leur rendait au centuple, profitant de la position forte qui était la sienne pour les inonder de brimades, consignes, corvées, salle de police, voire prison. Toute punition était justifiée par un motif, le tout étant lu au rassemblement du matin et, comme l’adjudant avait quelques difficultés avec la syntaxe, cette lecture était souvent une source de jubilation dans les rangs.
Un jour où « Bouledogue » avait ordonné à un bidasse, plombier dans le civil, d’aller faire quelques réparations dans la salle de bains du Colonel, il avait obtenu la réponse suivante : « A 30 centimes par jour ( c’était le »prêt« journalier perçu par un appelé) je ne fais pas de plomberie ». Refus puni de la façon suivante : « Huit jours de prison au soldat Miche. Motif : a refusé de réparer la douche du Colonel qui fuit ». Dans les rangs, un loustic ajouta à mi-voix : « Il va falloir acheter des couches pour le Colonel ». Réflexion suivie d’une franche hilarité.
Une autre fois, alors qu’il dirigeait la patrouille en ville, « Bouledogue » aperçut un jeune soldat qui arborait fièrement des gants en cuir, alors qu’il aurait dû porter des gants de laine, tenue obligatoire pour les hommes de troupe. Le lendemain matin, le résultat était là : « Huit jours de salle de police au soldat Bouju. Motif : se promenait en ville avec des gants en peau de sous-officiers ». Et le loustic, toujours le même, de souffler en catimini : « Les sous-officiers prennent leur retraite à la tannerie ». Et la soldatesque de se dilater la rate !
« On s’y fait suer, on ne gagne pas grand chose, mais il arrive tout de même, parfois, qu’on y rigole un bon coup », écrivait un jour un bidasse à sa chère et tendre promise.