Il y a quelques dizaines d’années, quand l’Argonne était encore une « terre de vergers », le cidre était la boisson de tous les jours.
Un « ancien » de Passavant, Gilbert Barborin, se souvient...
« On ne buvait que du cidre au cours des repas. Quand on allait aux champs et qu’il faisait très chaud, on en emmenait dans des canettes entourées de chiffons mouillés pour le garder frais. On les mettait à l’abri du soleil dans les grandes herbes.
Peu alcoolisé, il désaltérait bien. Même les enfants avaient le droit d’en boire un petit peu !
Le cidre était conservé à la cave dans des tonneaux fermés, des « feuillettes » de 100 litres ou des « pièces » de 220 litres . Il fallait les descendre les tonneaux ! C’était un exercice un peu périlleux, qu’on faisait à deux à l’aide de cordes passées dans des orifices prévus à cet effet...
On consommait une moyenne de 1000 litres de cidre par maison, qu’on « tirait » au fur et à mesure des besoins dans des cruches en terre cuite. Il faut toutefois bien reconnaître que cette excellente boisson était tout de même un peu rêche, surtout quand arrivait le fond du tonneau ! En effet, au fur et à mesure que ce dernier se vidait, l’air remplaçant le cidre, l’aigrissait et le rendait presque imbuvable, juste bon pour la distillation.
Mais pour les dimanches et les grandes occasions, on avait le cidre bouché. Mis dans des bouteilles solides, genre « champenoises » solidement muselées avec des croisillons de fil de fer, il devenait pétillant comme du champagne au bout de quelques mois. Mais gare au débouchage ! Si le cidre n’était pas assez frais, l’opération se révélait souvent explosive et une partie du contenu de la bouteille se retrouvait à l’évier.
Aujourd’hui encore, nombre d’argonnais, qui ont pu conserver leur verger et su l’entretenir, font encore cet excellent cidre bouché « maison » si apprécié.
Faire du cidre ...
Sa qualité dépend bien entendu des pommes utilisées : ici, à Passavant, c’était principalement les réaux [1] et les louitons qui donnaient sucre et parfum. Les fruits tombés étaient ramassés, mis en tas et laissés dehors pour qu’ils parent [2] et que la pluie les lave. On commençait à les presser aux premières gelées, vers le mois de novembre après les avoir broyées pour qu’elles rendent tout leur jus.
Mais on prenait aussi des fruits d’une moins bonne qualité gustative et sans nom bien défini, c’était les « pommes à cidre » ainsi que des petites poires très dures, genre « cariset ». Le résultat n’était bien sûr pas le même : le cidre obtenu était très « fiérot » et n’avait guère de sucre... !
Dans certaines communes, les bords des routes étaient plantés de ces pommiers et poiriers à cidre. Les habitants pouvaient les louer par lots de 5 ou 6 arbres et en récolter les fruits, ce qui permettait à ceux qui n’avaient pas de verger de faire aussi leur cidre.
Plus tard, quand personne n’a plus loué les arbres, les routes à l’automne étaient souvent recouvertes d’une bouillie de ces fruits tombés et écrasés qu’on ne ramassait plus.
Alors, on a coupé les arbres....
Ceux qui pressaient leur cidre eux-mêmes n’avaient que de petits pressoirs et l’opération demandait beaucoup de temps. Pour les autres il y avait André Jacquot et son pressoir ancien, peu pratique, dont le serrage se faisait horizontalement par une roue en bois mue par une sorte de vis sans fin. Aussi, mon oncle, Eugène Collin, que tout le monde ici appelait « Gégène », s’est lancé dans la modernisation : en 1937, il a acheté aux Ets Humbert de Braux Saint Remy, un gros pressoir qui pouvait traiter en une seule fois 750kg de pommes et donner de quatre à cinq cents litres de jus, suivant les années.
Ce pressoir pourvu de roues était mobile. Il y attelait son cheval, accrochait derrière le broyeur et son moteur à essence, et « hue Marquis », Gégène allait presser jusque dans les villages voisins, Eclaires, le Chemin... Mais à partir de la fin des années 40, il ne se déplaçait plus, il fallait lui amener les pommes, mises dans des sacs, à son atelier de Passavant.
Gégène a pressé les pommes jusqu’à la fin de sa vie, en 1986 ».