Connaissance du Patrimoine Culturel Local
Le Petit Journal
de Sainte-Ménehould
et ses voisins d'Argonne
Edition régulière d'un bulletin traitant de l'histoire, des coutumes et de l'actualité.


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L’ARGONNE, TERRE A POMMES

   par Ernest Bassuel, Jeannine Cappy



          On ne connaissait même pas les cageots et cagettes mais les sacs de toile de 50 kgs. Et il fallait faire un wagon complet, en vrac, pour les “ ramasseries fruits talés, etc... destinés à la cidrerie ou à la conserverie. Lorsque la production se vendait à un commerçant, celui-ci attendait toujours le dernier moment pour faire son wagon, pour lui éviter les frais importants du stockage.
          Mais il y avait d’autres moyens de commercialisation, celui, dirait-on aujourd’hui, du producteur au consommateur.
          Si la région Sud-Argonnaise était plutôt un important centre de production, il n’en était pas de même dans les régions toutes proches, la Champagne et la Lorraine. Les plus proches de leurs habitants venaient eux-mêmes, avec cheval et charrette, acheter pour eux, familles, voisins, amis, leur réserve, toujours chez la même personne.
          Mais quelques-uns préféraient, après les travaux des champs et la récolte des pommes, aller au devant des amateurs les plus éloignés, en Champagne ou en Lorraine. Ils partaient avec un chargement de pommes, et charrette à cheval, souvent pour plusieurs jours. Un gros avantage, c’était de sortir de son milieu, dans un contact humain enrichissant.
          L’un d’eux, de Brizeaux, avait trouvé son domaine jusqu’à la vallée de la Meuse. Il partait dès novembre-début décembre, avec des “ Réaux [2] et les voyages d’après avec des “ Louitons . L’hiver, à la morte saison, il confectionnait des corbeilles en “ souillettes [3] et en “ caures [4] , surtout pour les plus gros fruits, plus sensibles aux chocs.
          Une partie était en sacs de toile. Le tout, calibré au fruitier. Il en fallait, plus pour toutes les bourses que pour tous les goûts.
          Le calibrage commençait avec la cueillette. Il ne fallait cueillir que les pommes au dessus d’une certaine grosseur, variable avec la variété. Avec l’habitude, on prenait la circonférence de la pomme en la plaçant entre le pouce et l’index arrondis.
          Notre “ pommiculteur brizeauxien , dans son secteur de Lorraine, avait ses bases, toujours les mêmes, où il mangeait le soir et passait la nuit. Il disait “ ses habitudes . Il parcourait les villages environnants, en criant “ pommes-pommes . Il était d’ailleurs attendu avec son surnom, par lequel tout le monde l’appelait “ eh, Père pommes-pommes , surtout les enfants qui, à la sortie de l’école, suivaient la charrette en attendant leur traditionnelle pomme et plutôt deux qu’une. Il fallait déjà être commerçant !
          Pour vendre, pas de balance, mais des instruments de mesure fabriqués par lui-même, en osier, allant du double décalitre au simple litre. Il fallait de petites pommes pour certaines personnes. Pour le même volume entre petites et plus grosses, le poids n’était pas le même, il y en avait de toutes les qualités, c’est-à-dire pour toutes les bourses, et tout le monde était content d’avoir des pommes.
          Mais certaines années, la récolte n’était pas excellente, surtout la Réau. Alors, c’était la Louiton, malgré sa moins bonne qualité, qui dominait. Et comme disaient les anciens, “ aux chères années, il n’y a pas de “ [5] ... .
          La fabrication du cidre était également un revenu du verger, soit par auto-consommation, soir par vente aux “ producteurs . Une partie était mise en bouteilles, cidre mousseux qui se conservait plusieurs années. C’était tout un art ...
          Les années où les pommes étaient rares, on “ brûlait [6] du cidre pour faire l’eau de vie.

Ernest BASSUEL.Brizeaux (1990)

Notes

[2Louiton et Réaux sont deux variétés de pommes locales de bonne conservation.

[3Souillette : corbeille faite avec de petits brins de saule.

[4Caures : brins de noisetiers.

[5Hautons Hautons ou criblures : rebus.

[6Brûler : distiller.

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