D’une part, le mannequin de paille n’avait offert aucune résistance au projectile et de plus, il avait caché complètement la personne d’AUBRIET au tireur adroit, mais imprudent, Pierre FRAIRE.
Ainsi se termina d’une façon tragique la fête du Carnaval de Berzieux, en 1755.
La justice fit le reste. Elle intervint avec son luxe habituel de formalités.
Tout d’abord, le bailli de la justice de Berzieux reçut la plainte de la veuve ; cette plainte fut communiquée au procureur fiscal ; à son tour, le procureur fiscal requit l’information “ des faits portés à la susdite plainte, circonstances et dépendances pour après ... requérir ce qui sera de raison .
Le fait, l’homicide par imprudence, était avéré. Le coupable, Pierre FRAIRE, avait dit “ hautement et tout en pleurant, qu’il estoit bien malheureux ainsy voire ledit Jean-Baptiste AUBRYE tué sans la voire veu .
Cependant on décida que le cadavre serait examiné par des chirurgiens jurés. Deux de ces messieurs furent commis à l’opération qui eut lieu le 13 février 1755 : Pierre PALLEY, maître chirurgien, demeurant à Ville-sur-Tourbe et Philippe BUACHE, maître chirurgien juré, demeurant à La Neuville-au-Pont. En visitant le cadavre, déclarent-ils gravement, “ nous avons remarqué une playe ronde avec fracture à la partie moyenne de l’os pariétal gauche, pénétrante jusque dans la substansse du servaux ; et ils ajoutèrent avec le même sérieux, bien qu’ils n’ignoraient certainement rien des circonstances de l’accident : “ laquel playe nous a parut avoir été faite par arme à feux, comme fusil ou autre chose semblable ; ce qui nous auroit obligé de faire l’ouverture dudit servaux, ce que nous avons fait. En examinant les parties dudit servaux, nous avons retrouvé une balle de plon dans la substance dudit servaux, avec un épanchement de sang considérable à ladite partie, ce qui a occasionné la mort .
Le même jour, le projectile, “ espesse de balle de plon , fut remis au greffe de la justice.
Qu’advint-il ensuite de cette malheureuse affaire ?
Vraisemblablement, Pierre FRAIRE bénéficia d’une mesure de clémence.
En effet, une première supplique avait été adressée par lui au ministre de la justice, à la date du 27 février 1755, c’est-à-dire quelques jours après l’accident.
Demeurée sans réponse, elle fut renouvelée le 15 juillet 1576, dans la forme suivante :
"A monseigneur le garde des sceaux
Monseigneur,
Pierre Frère ; berger du troupeau commun de la paroisse de Berzieux’ généralité de Châlons en Champagne, représente très humblement à Votre grandeur que le jour des cendres, douze février de la présente année 1755, sur les deux heures de relevée, ramenant des champs son troupeau et ayant, à cause des loups qui sont assez fréquents dans le canton, un pistolet pendu à son col, il a trouvé une bonne partie des jeunes gens de Berzieux assemblez près de l’église, se réjouissans et entourans une figure de paille revêtue de toille de grandeur d’un homme par eux appelée mardy gras, qu’ils avoient possé sur une pièce de charpente après l’avoir promené sur un cheval dans tout le village ; que le supliant, excité par ces jeunes gens de tuer la figure en question avec son pistolet, ne prévoyant pas, dans son état de minorité, les accidents qui pouvoient en arriver, a réellement déchargé son pistolet ; mais que dans le même instant, Jean-Baptiste AUBRIET, manouvrier du lieu, ayant paru sur la porte de sa maison, en a reçu le coup et en est décédé peu de temps après, encore que la balle ait passé à travers de la figure ;
Et d’autant, Monseigneur, que ce malheur n’a rien eu de prémédité et est l’effect d’un pur hazard, que le supliant a témoigné à l’instant sa juste douleur et que la veuve d’AUBRIET, assistée de sa famille, l’a reconnu en se désistant de sa plainte à ce sujet le même jour qu’elle l’avoit rendue ;
Pierre Frère a, Monseigneur, recours à Votre Grandeur et la suplie très respectueusement de vouloir bien luy accorder les lettres de rémission qui luy sont nécessaires et il continuera d’adresser ses voeux au ciel pour la santé et la prospérité de Votre Grandeur .
Sous l’ancien régime, on accordait fréquemment des lettres de rémission dans des cas beaucoup moins intéressants.
D’après un récit de J. BERLAND, Archiviste de la Marne,
publié en 1912.