$DIALOGUE $
- Tu es rudement beau ! Où vas-tu ?
- Où je vais ? En voilà une question ! ... Regarde donc dans la côte, tue ne vois pas tous ces gens comme ils descendent ? Eh bien, ils font comme moi, ils s’en vont à la ville pour voir la fête du quartier Chanzy. Ah, pour une belle fête, ce sera une belle fête. D’où viens-tu donc avec ton air étonné, comme une poule qui aurait trouvé un couteau ?
- Moi, je reviens des Ardennes, il y a un mois que je suis parti et je ne sais rien de rien ; déjà l’an passé ils ont fait la même fête à la ville et on a dit que ça avait été rudement beau.
- Oh, aujourd’hui, ça sera encore bien plus beau ! Si tu avais lu le programme, tu ne tiendrais plus en place et tu te dépêcherais d’aller chercher ton linge fin et ton habit à manger de la viande pour venir avec nous ...
- Mais qu’est-ce qu’il y aura donc de si beau ?
- Qu’est-ce qu’il y aura donc ? Il y aura déjà une revue du Comité d’honneur devant le perron de l’Hôtel de Ville, et puis un grand concours de chars et de voitures décorées, avec des bicyclettes qui ouvriront la marche. Ils partiront de la place du marché au beurre, jusqu’à la place de l’Hôtel de Ville, en s’arrêtant au rond-point Chanzy ...
- Au rond-point Chanzy, Qu’est-ce que c’est donc que çà ?
- Eh bien, mon pauvre ignorant, on voit bien que tu as oublié ta géographie ; tu ne connais même pas le rond-point Chanzy ? ... En face de la librairie catholique, à côté de la pâtisserie Brulfert et de la fromagerie Delarbre, un peu plus loin que chez le Lordemann et le Nestor Hucher.
- Ah oui, je vois bien, tout contre la maison du Sacré Cœur, là où il y a de si belles cartes postales et un tas de belles choses que des quantités de gens regardent par les vitrines de la devanture.
- Là , il y aura un kiosque où les cuirassier joueront de la musique, pendant que les enfants qui seront dans les voitures se jetteront des bouquets à la figure.
- Ah oui, je sais bien, ils appellent çà un massacre de fleurs !
- Mais non, ce ne sera pas un massacre, il n’y a rien à massacrer, ce sera une bataille. Quand ils auront fini, ils continueront à marcher jusqu’à l’Hôtel de Ville où ils se rebattront à coups de bouquets et puis, quand ils n’auront plus rien à s’envoyer, ils descendront de leur voiture pour aller chercher leur prix.
- On leur donnera donc des prix ?
- Je te crois, et des beaux encore ! ... Il y aura aussi des courses de vélocipède ; ceux qui voudront courir partiront de la Place de Guise, vers Chaudefontaine, Le Sougniat, le Texas, la route de Florent, la route de la Grangette, la Grange-aux-Bois, pour arriver sur la place de l’Hôtel de Ville.
- Eh bien, j’aime mieux pour eux que pour moi ! ... Quand ils arriveront, ils seront tout épuisés et courbaturés ... Et puis, après, qu’est-ce qu’il y a ?
- Ah mon ami, qu’est-ce qu’il y aura ? ... Il y aura encore des concerts dans tous les coins, il y aura une grande fête foraine, des chevaux de bois, du théâtre, des tirs aux sucreries, des loteries, des dormeuses.
- Ah, il y aura des dormeuses ?
- Ma foi, bien-sûr, il y a à peine un quart d’heure que la Léontine qui revenait de la ville nous a dit qu’il y avait un tas de voitures sur la place ... Il y en avait quasiment autant qu’à la fête à Florent !
- Autant qu’à la fête à Florent ! ... Mazette, ils font bien les choses, à la ville ... Ils ne se refusent plus rien !
- Tout cela, c’est pour l’après midi, mais à la nuit, ce sera encore plus beau ; il y aura des illuminations, on verra plus clair qu’en plein midi ; il y aura une grande retraite avec toutes les fanfares rassemblées et un bal avec un orchestre de plus de cinquante musiciens et encore, je ne te dis pas tout ! ...
- Oh, si c’est çà, je vais me dépêcher, je vais me hâter par le petit chemin et puis je viendrai vous retrouver avec notre Marie et notre Léontine, et puis le petit à notre Félicie qui viendra avec son frère ...
- Tu ne prendras tout de même pas tous les enfants du village ? ... Surtout les enfants de la Félicie, qui sont fatigants comme des cabris et qui mangent des assiettes que des chiens n’arriveraient pas à avaler !
- Voyez-vous ça ! Les pauvres enfants, Il n’y en a pas d’aussi gentils, les pauvres bénis du bon Dieu !
- Tu feras comme tu voudras, il va être bientôt midi, je veux arriver pour le commencement !
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- Vas toujours, je vous rattraperai !
- Dépêchons-nous Phrasie, c’est pas la peine de traîner ce gaillard là, avec toute sa marmaille !
- J’allais te le dire, qu’est-ce qu’on deviendrait avec comme provisions ces enfants-là, qui ne feraient que nous agacer !
- Une fois arrivés, je me moquerai bien de lui et j’aurai bien soin qu’il ne nous retrouve pas.
- Et puis, il faudrait tout payer pour eux !
- Voilà midi qui sonne, dépêchons-nous, Phrasie.
Traduction : R. GAUTIER et F. MOUTON