Connaissance du Patrimoine Culturel Local
Le Petit Journal
de Sainte-Ménehould
et ses voisins d'Argonne
Edition régulière d'un bulletin traitant de l'histoire, des coutumes et de l'actualité.


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ANDRE THEURIET chante l’Argonne (Suite)

   par Odile Husson



Si d’autres oeuvres encore magnifient l’Argonne ou l’expliquent et la commentent, comme “ Sous Bois , je voudrais terminer par le plus émouvant, le plus irrésistible : “ Le Refuge , écrit en 1898. Il semble le couronnement des romans de l’Argonne, entièrement consacré à la magnificence de la forêt. L’intrigue est dramatique mais le drame se joue dans une facture sublime. La beauté y est présentée intrinsèquement. Elle va de la délicatesse la plus exquise à la violence la plus sauvage. Le noeud est simple : après avoir mené grande vie et gaspillé son bien au loin, Vital de la Lochère, divorcé, revient, vingt ans après, dans son château natal de la Harazée, dans cette grande courbe vers l’ouest que fait la Biesme, entre Lachalade et Vienne-le-Château. On est au pied du ruisseau de la fontaine aux Charmes. Un étang occupe l’entrée du vallon. On trouve encore aujourd’hui, dans l’annuaire du téléphone, des noms de personnes citées alors par l’auteur.
Dans cette œuvre, toute la masse des bois de la Gruerie et de la Haute Chevauchée est le théâtre des agissements du héros principal. Vital, 48 ans, ne voulant pas renouer avec le passé, se consacre à la forêt. Un jour de tempête, égaré et ruisselant, il est recueilli par le garde général des Eaux et Forêts, Monsieur de Louessart, qui l’invite chez lui, au four des Moines, où il rencontre sa jeune fille Catherine dont il tombe amoureux. Peu de temps après, son ex-épouse étant décédée en Savoie, son jeune fils Félix lui demande de l’accueillir en Argonne. La suite est aisée à deviner : le père et le fils deviennent rivaux et Catherine se rend compte que ce n’est pas Vital mais Félix qu’elle aime. Après maintes péripéties, Vital comprend qu’il est évincé. Survient alors un orage exceptionnel, d’une durée et d’une force inouïes, dans une description tourmentée de quatre pages, où Theuriet semble jouer les grandes orgues de la forêt maudite. On sonne le tocsin, l’inondation monte, l’eau jaillit de toutes parts. Vital sort, il songe à sauver Catherine mais Félix l’a devancé. Alors il se laisse retomber dans la barque qui part à la dérive, dans la violence du courant de la Biesme. Bientôt il revoit les tourelles de son château, mais à ce moment, les digues de l’étang s’effondrent. “ Une énorme avalanche de pierres et de boue s’écoula dans la Biesme . La masse liquide forme un tourbillon, la barque tournoie et disparaît. “ Et Vital de Lochère s’en alla, roulé parmi les épaves limoneuses, vers le seul refuge où l’on soit sûrement à l’abri des orages de la terre .
En dépit du drame, ce livre est un chef d’œuvre. Un hymne continuel à la forêt. Vital l’a parcouru à toutes les saisons, à toutes les heures du jour - il a vécu en harmonie avec elle. Plus qu’une vision, elle est une atmosphère - il vit en elle, s’y adapte. Tantôt, en novembre, il glisse dans les fondrières, barbote dans les ravins changés en cascades, se perd, tantôt, au printemps, lorsque tout verdoie, que le soleil fait pleuvoir des points lumineux sur la terre sablonneuse que l’épais massif de Bolante allonge là-bas ses lisières, Vital sent un ravissement. Il se plonge dans les tapis de pervenches ou frôle les crosses de fougères ou les grappes de muguet. “ Décidément cette futaie était enchantée ... et il descend allègrement vers le fond de la combe. Jamais dans ce livre de 329 pages, André THEURIET ne se répète tout en traitant le même sujet. Chaque errance à travers l’épais massif est nouvelle. C’est : “ ... plusieurs sources s’étaient ménagé de clairs réservoirs : les unes s’échappaient des fentes d’une roche tapissée de capillaires et de scolopendres, les autres naissaient au ras du sol parmi les menthes et les salicaires et s’épanchaient à gros bouillons ; elles se réunissaient toutes un peu plus bas, pour former le ru des Sept Fontaines ... une glauque lumière tombait à travers ce fouillis ... accrochés aux branches, des rubans multicolores pendaient à demi détrempés par l’humidité . P.195. Ou bien dans la promenade de Félix et Catherine : “ Ce lever de lune, si doux à travers l’échevèlement des bouleaux, imprégnait la clairière d’une clarté de féerie. Les tapis de bruyère fardaient encore de mourantes teintes rosées ; de fines vapeurs rampaient dans les fonds humides et à travers ce transparent voile, on distinguait au loin la nappe argentée du petit étang. La pénétrante poésie du crépuscule gagnait les deux jeunes gens et en même temps que le mince croissant couleur d’opale montait dans le ciel, une frissonnante aube d’amour montait dans leur cœur .
Ainsi, une banale histoire d’amour se transforme en aventure féerique. La forêt est magique. C’est elle qui use de son sortilège pour enivrer les coeurs et c’est peut-être le plus ensorcelant décor qu’André THEURIET ait jamais utilisé. Ce livre est l’apothéose de ses ouvrages sur l’Argonne.
A qui lui demandait un jour d’où lui venait cet amour de la forêt, André THEURIET répondit ; “ tout simplement de ce que j’ai toujours vécu à proximité d’une forêt . Son grand-père, ancien officier puis garde général des Eaux et Forêts, puis sous-inspecteur des forêts, eut sur lui une influence déterminante lorsqu’il l’emmenait chercher avec lui, dès sa petite enfance, les paysages forestiers qui n’allaient pas tarder à le captiver. Il n’est que de lire “ La Princesse verte ou la fugue enchantée d’une école buissonnière exceptionnelle. Plus tard, dans son premier poste administratif à Auberive, qui a pris le relais, l’auteur fut plongé en plein milieu forestier durant près de trois ans et comme il avait appris à herboriser lors de son passage à Montmédy, comme surnuméraire, c’est là qu’il apprit à connaître la forêt de fond en comble, comme à la loupe.

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