Connaissance du Patrimoine Culturel Local
Le Petit Journal
de Sainte-Ménehould
et ses voisins d'Argonne
Edition régulière d'un bulletin traitant de l'histoire, des coutumes et de l'actualité.


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La page du sourire

L’Acrobate.

   par François Mouton, Luc Delemotte (dessin)



Quand on lui demandait son nom, invariablement il répondait « L’Acrobate », aussi était-ce sous cette identité qu’il était connu de tous. Très vite, il était devenu la vedette du camp de prisonniers de guerre, car c’était un as de l’escalade et de la contorsion, alliant les qualités d’une araignée quand il grimpait à celle d’une anguille quand il se faufilait dans des passages étroits et tortueux et que son corps semblait de caoutchouc. Blessé et mal en point, il avait été pris par les Allemands qui l’avaient soigné et complètement remis en état, à tel point qu’ayant retrouvé toutes ses qualités, il commença à multiplier les évasions, toutes plus rocambolesques les unes que les autres.
Mais, me direz-vous, comment se fait-il qu’il était repris à chaque fois ? C’est justement là qu’on arrive au coeur de l’affaire : l’Acrobate avait entrepris de ridiculiser ses surveillants en prouvant qu’aucune cellule, qu’aucun système pénitentiaire ne pouvait résister à ses acrobaties et, ayant une fois de plus réalisé son exploit, il se laissait reprendre volontairement pour pouvoir ajouter une page de plus à sa légende.
C’est ainsi que le lendemain de sa première évasion, en plein jour et revêtu de son uniforme de prisonnier, il sirota un demi de bière à la terrasse d’un grand café, en attendant qu’on vienne l’arrêter !
Il allait jusqu’à parier avec ses gardiens de la date de sa prochaine échappée et, comme il gagnait à chaque fois son pari, les Allemands ne savaient plus trop que faire devant une telle situation.
Chaque prisonnier avait une fiche sur laquelle figurait sa profession. Lorsque la question lui avait été posée, notre ami avait répondu « acrobate », un mot inconnu pour le scribouillard chargé de noter les renseignements et qui comprit « adoo-kat », c’est à dire avocat en allemand.
Après sa dix-huitième évasion, l’Acrobate fut amené à la Kommandantur où un interprète lui dit : « Nous avons besoin d’un avocat Français pour le tribunal de Giessen. Vous partirez demain. »
L’Acrobate, qui était quasi illettré eut beau protester et crier à l’erreur, ce qui était écrit sur la fiche ne pouvait que représenter la vérité et, comme l’administration allemande est aussi bornée que la nôtre (ce n’est pas Courteline qui me contredira !!), il partit le lendemain.
Evidemment, au bout de deux jours, l’incompétence de l’Acrobate en matière juridique devint évidente et ses protestations furent entendues, mais ces deux jours lui avaient permis d’apprécier le confort de sa nouvelle situation et, soucieux de conserver un tel filon, il avait su se faire apprécier, rendant de menus services, jouant de son bagout et de ses qualités physiques. On le trouva utile, amusant, sympathique et on le garda là. Finalement on lui confia le soin de conduire la voiture cellulaire.
C’est ainsi que, chaque jour à 9 heures, on pouvait voir un Français en uniforme, trônant sur le siège du « panier à salade », arriver à la porte du tribunal, descendre de voiture, tirer de sa poche une clé, ouvrir la porte du fourgon d’où sortaitun gendarme Allemand !! Le gendarme faisait ensuite descendre les pauvres diables qui devaient être jugés ce jour-là.
Depuis qu’il était bien traité, libre d’aller et venir, et surtout de savourer la joie de promener un gendarme Allemand enfermé dans une voiture cellulaire dont il avait la clé dans sa poche, l’Acrobate, qui avait le sens de l’humour, se contenta de cette situation. Il n’y eut pas de dix-neuvième évasion !

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