L’arrivée des Allemands dans la ville le 12 juin 1940, peu l’ont racontée car beaucoup de civils étaient partis en évacuation. Et pourtant un Autrichien a écrit ses souvenirs de guerre dans le livre « Ob Tausend Fallen », et quelques pages concernent les combats dans la cité argonnaise. Mais Hans Haabe, ce soldat autrichien, était dans l’armée française
Le texte a été confié à Jean Hussenet par une Padada : Gaïtane Besnier Feuvre. La traduction est de Michel Baudier de Vouziers.
Hans Habe, écrivain et journaliste autrichien, antifasciste, interdit par les nazis, a gagné la France et s’est enrôlé dans l’armée française, dans le 21ème régiment de Marche de Volontaires Etrangers. Il vivra aux Etats-Unis où il écrira ses mémoires (à Washington en juin 1946).
Lors de l’offensive allemande des 9 et 10 juin, son régiment se replie par Vienne la Ville. A Sainte-Ménehould, le régiment est chargé de protéger la retraite en retardant l’ennemi.
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"Sainte-Ménehould était le point de rassemblement de plusieurs armées qui étaient arrivées dans la petite ville de 3000 habitants par différents chemins et elles étaient maintenant jetées sur le seule route secondaire, la route de Verrières-Passavant-Commercy.
Cette manœuvre exigeait toutefois un délai : cela signifie qu’il fallait arrêter à tout prix les Allemands au carrefour de Sainte-Ménehould La jolie petite ville autrefois connue des touristes comme point de départ de la visite des champs de bataille de l’Argonne était maintenant destinée à devenir un lieu de résistance désespérée. Totalement entourée par l’Aisne et le canal latéral à l’Aisne (les Remparts), Sainte-Ménehould est une forteresse naturelle qui ne peut être prise que par des chars lourds au prix de grosses pertes.
Le profane qui s’imagine la situation de Sainte-Ménehould doit en venir à la conclusion suivante : il faut faire sauter le pont du nord (pont des Maures, route de Moiremont) après que le dernier homme l’ait franchi, et il faut que le pont qui débouche sur le sud reste intact aussi longtemps que les divisions chargées de la défense demeurent dans la ville
Mais qu’arriva-t-il ? Le pont nord ne fut jamais détruit, offrant ainsi aux allemands une occasion inespérée d’entrer facilement dans l’accueillante cité de Sainte-Ménehould Par contre le pont sud fut détruit devant nous
Quand je fus sorti de l’église avec Gabriel Kohn, j’entendis les premiers chars allemands entrer dans la ville Sur la place, les soldats couraient d’un endroit à l’autre, cherchant un abri Beaucoup s’allongeaient sur la chaussée, le fusil pressé à l’épaule. Ce qui est tout à fait compréhensible sur le champ de bataille prenait ici une allure grotesque Les premiers avions apparurent. On ne pouvait plus différencier le bruit des avions de celui des chars. Une bombe tomba au milieu de la grand-place. Les pierres volèrent en l’air. On avait l’impression de ne plus savoir s’il faisait jour ou s’il faisait nuit. Chaque bombe provoquait d’abord une vive lueur, puis ensuite l’obscurité.
Je suis allongé devant l’église. Soudain j’entends une voix : « En position dans les maisons ! Arrêtez les chars ! ». Personne ne sait qui a lancé cet ordre. On obéit instinctivement. Je me glisse dans l’embrasure d’une porte de maison, à l’angle de la place et de la rue Margaine. Au même moment les chars arrivent dans la rue étroite On ne peut s’imaginer qu’il va rester quelque chose derrière eux
C’est alors que dans le bruit assourdissant des bombardiers qui tournent sans cesse et des chars qui s’avancent lentement vers moi dans la longue rue étroite, je distingue soudain un bruit familier : une mitrailleuse crépite à proximité. C’est un bruit presque amical, presque musical. Je lève les yeux. Une mitrailleuse tire du premier ou du deuxième étage de la maison voisine. Il tire sur les chars qui s’approchent. Et c’est comme à chaque fois qu’un élément se glisse dans un groupe qui a perdu courage. Tout à coup, on se mit à tirer de tous côtés. La tentative était puérile. Au cours de nos combats, il avait été prouvé que même les canons de 48 prévus comme antichars, étaient sans effet sur les chars lourds allemands. Seul les 75 obtenaient quelques succès. Et voilà que maintenant nous tirions avec des mitrailleuses et nos vieilles carabines. Mais peu importe ! Cela tiraille soudain de toutes les maisons. Je traverse rapidement la rue. Les balles sifflent à mes oreilles de tous côtés. Ce sont les nôtres qui se sont mis en tête de prendre la rue dans un feu roulant.
Je monte les escaliers quatre à quatre. C’est une vieille maison, assez petite, avec des escaliers en bois. A mi-étage, une porte est ouverte : c’est la porte des WC. Il n’y a rien de plus comique sur terre qu’un WC quand tout le monde se dérobe sous vos pieds.
Je ne reconnais pas les servants de la mitrailleuse. Je ne sais même pas s’ils sont de notre régiment. Mais dans la pièce d’à côté, un homme est à la fenêtre, et lui, je le reconnais, même de dos. Et en moi monte un sentiment indescriptible de joie : indescriptible, dis-je, parce que dans la vie quotidienne, l’homme parvient à s’élever au-dessus de la médiocrité habituelle pour atteindre les joies de son existence. Il faut être passé près de la mort pour comprendre ce que signifie retrouver un ami. C’est Truffy qui est à la fenêtre.
Je l’appelle. Il me fait signe de la main gauche mais sans se retourner. Je m’avance près de lui, à la fenêtre. Son bon visage poupin, tout rond, maintenant entouré d’une barbe rousse non taillée, est tranquille et calme, comme à l’accoutumée. Ses grosses lunettes toutes rondes n’ont pas glissé. Il me tend rapidement la main gauche ; puis il la serre à nouveau en forme de poing pour appuyer le canon de son revolver. Je charge rapidement ma vieille Remington, bien que j’aie peu d’espoir de voir partir le seul coup qu’elle puisse tirer à la fois.