Jean-Louis Méry qui fait partie de l’équipe du Petit Journal, mémoire de Menou, écrivain et surtout poète, était adolescent lors de la seconde guerre mondiale. Il se souvient et raconte.
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En complément de l’article, paru dans un journal local aussitôt la libération, j’ai désiré apporter mon témoignage. Je venais d’atteindre 15 ans le 26 août et j’ai participé, acteur passif, aux évènements ayant accompagné la libération de Sainte-Ménehould.
La Défense Passive et la Commune avaient prévu et aménagé des abris pour protéger la population en cas de bombardements ou de combats se déroulant sur notre territoire. Chaque quartier avait des endroits privilégiés où se rendre. Les principaux se situaient route de Chaudefontaine, sous la butte de la Haute Maison et aux caves Robert, anciennes caves à glace [1]. D’autres sites importants se trouvaient sous la butte du Château : rues Camille Margaine, Chanteraine, Zoé Michel, de l’Arquebuse et place de l’Hôtel de ville. De nombreuses caves existaient, elles avaient été reliées entre elles en créant des passages à travers les murs séparatifs. Une grande partie de la population s’est réfugiée dans ces caves. Notre famille a rejoint la maison de mes grands-parents qui habitaient 12 rue Camille Margaine et disposaient de 2 caves superposées, dont la plus profonde s’enfonçait de 40 mètres sous la butte du Château, plusieurs caves voisines, reliées entre elles, avaient la même capacité.
Le 28 août, il semblait que le plus important des troupes allemandes était déjà passé, après avoir raflé tout ce qui pouvait les aider à fuir plus vite : vélos, motos, voitures à chevaux, voire nourriture ou objets de valeur transportables. Mes parents étaient cultivateurs rue Florion [2]. La semaine précédente, un charretier, Gustave Havet, qui rentrait des champs s’était fait réquisitionner avec ses 3 chevaux pour tirer un chariot chargé de matériel jusqu’aux Islettes ; nous avons craint pour lui et apprécié son retour, tard dans la soirée. Aussi, l’ensemble de nos 7 chevaux furent conduits très tôt le lendemain aux « Accrutes », dans un parc éloigné de la route.
Le mardi 29, il fut recommandé de demeurer dans les abris, d’en sortir le moins possible. Dès le 28 au soir, certains couchèrent dans les caves où avaient été transportés chaises, fauteuils, tables, réchauds à gaz, provisions et nombreuses couvertures. La vie s’organisait solidaire, les provisions partagées, la même soupe pour tous, l’aide aux personnes plus fragiles ; des amis jouaient aux cartes, des dames tricotaient ou égrenaient leur chapelet. De temps à autre, des hommes remontaient en surface, collectaient les nouvelles : présence de SS ou de FFI, écoute si ronronnaient enfin de près ou de loin les chars américains
La journée tragique fut le 30 août où passaient les derniers traînards et les SS destructeurs. Ils mirent le feu aux matériels, aux locaux par eux délaissés : rue Philippe de La Force [3], rue des Remparts, avenue Kellermann, à la Sucrerie, la gare, l’hôtel Moderne, siège de la Kommandantur. Puis ils firent sauter le pont route de Vitry, détruisant en partie les immeubles voisins : l’école des garçons [4], la Maison des Å’uvres [5] entre autres Le pont de pierre [6] fut sauvé grâce à la vigilance de quelques pompiers, sous la conduite de Maurice Jaunet, capitaine ; sans se faire prendre, ils ôtèrent les mines, les jetèrent à la rivière.
Cela devint dramatique lorsque 4 jeunes de Somme Tourbe, otages arrêtés la veille, torturés au Collège Chanzy, furent emmenés avec un Verdunois jusqu’au Texas [7] pour y être fusillés ; un seul parvint à s’échapper en sautant dans le bois voisin où les Allemands perdirent vite sa trace. La fièvre monta encore d’un cran lorsque 3 jeunes Ménéhildiens furent arrêtés rue Menut, les poches remplies de cartouches qu’ils venaient de trouver fortuitement ; conduits dans la cour de l’hôpital tout proche, malgré les supplications à genoux de la Supérieure, religieuse de l’hôpital et les explications données par Mme Virrion, lorraine d’origine, (elle parlait très bien l’allemand). Malgré toutes ces démarches les 3 jeunes furent fusillés : Collin Roger, Léger Robert, Goze Simon. Enervés, les allemands firent sortir tous les civils réfugiés dans les caves de la route de Chaudefontaine, jeunes et vieux. Ils séparèrent les hommes des femmes et enfants Instants de panique, crainte de nouvelles fusillades d’otages. Après une longue attente, Mme Virrion, exprimant toujours en allemand les craintes et les misères des Ménéhildiens présents, l’ensemble des civils, même âgés ou handicapés, furent encadrés par des SS et conduits, parfois portés ou roulés en brouette, par des valides, jusque Elise en un bien triste cortège.
Trois civils tombèrent aussi sous les balles allemandes : M. Millet Albert, quittant l’abri pour aller prendre une veste chez lui ; sourd, il n’entendit pas les sommations et fut abattu route de Chaudefontaine. M. Claude Jules avenue Kellermann, entendant se rapprocher le ronronnement des chars, sortit de chez lui, brandissant un drapeau tricolore : une patrouille le tua sans sommations, comme M. Barbelet Lucien, boucher, place de l’Hôtel de ville, sorti lui aussi, un drapeau en mains. Mais arrivèrent un groupe de FFI qui tuèrent sur la même place l’officier chargé, paraît-il, d’incendier la ville avant de la quitter. Heureusement il n’en eut pas le temps.
Enfin vers 20 heures dévalèrent de la rue Florion les fameux chars américains Instants de liesse, de joie immense : applaudissements, embrassades, les premières distributions de cigarettes, bonbons, chewing gum Oubliées craintes et peurs de l’occupant, une nouvelle vie commençait, avec ses promesses, ses difficultés, ses désirs de revanche et de punition des collaborateurs ; ce ne fut pas toujours ni simple ni parfaitement juste Avec le temps revint la joie de vivre, la paix et la sérénité.
Jean Louis Méry, 2 juillet 2011