Un lecteur nous a écrit pour nous demander des renseignements sur Pierre Gamin qui fut bourrelier à Sainte-Ménehould, en particulier sur sa vie de Poilu durant la Grande Guerre. Nous avons confié ce travail à Jean-Louis Méry, un des membres de l’équipe du Petit Journal, dont la famille habita longtemps en face de l’échoppe du bourrelier. Souvenirs.
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L’atelier-boutique de Pierre Gamin se trouvait rue Florion. A mi-côte, il faisait l’angle avec la rue Célestin Guillemin. Au dessus de la vitrine qui laissait voir la table de travail et l’artisan en action, était accroché à la façade, sur toute la largeur, un large panneau tout en bois où étaient peints des cavaliers et leurs chevaux à la parade (voir page 27). Certainement en souvenir des Cuirassiers dont nous parlerons plus loin.
L’échoppe de Pierre Gamin était un lieu de rencontres et d’échanges : des adultes clients amis, friands de discussions et des dernières bonnes blagues glanées par l’artisan Enfant, avec d’autres jeunes du quartier, nous aimions nous aussi nous retrouver le jeudi, dans cette pièce où flottaient toujours des odeurs de cuir frais et de poix mêlées. Sans s’arrêter de tailler ou de tirer les aiguilles avec une précision et une rapidité qui nous fascinaient, le bourrelier racontait des histoires, commentait les dernières nouvelles de sa voix chaude, un peu gouailleuse, les éclats de rire des uns et des autres accompagnaient toujours la chute.
Pierre Gamin est né le 28 juin 1895 dans une famille d’artisans bourreliers selliers. Une profession qui, à cette époque prospérait à Sainte-Ménehould, avec la présence au Quartier Valmy, depuis 1885 d’un Régiment de Cuirassiers : le 6ème Cuir. De nombreux chevaux à harnacher donnaient beaucoup de travail à la profession, d’abord aux professionnels militaires qui comme les maréchaux-ferrants, étaient membres du régiment, ils avaient la charge de l’entretien courant des harnais, de la confection traditionnelle de ces harnais. Mais au-delà, lorsque les cuirassiers officiers, sous-officiers, désiraient de plus beaux équipements, plus rutilants, voire plus confortables et pour leur confection ils faisaient appel aux artisans locaux
D’autre part, à Sainte-Ménehould, dans les environs, les nombreuses exploitations agricoles entretenaient une forte population de chevaux, très peu de bœufs de labour. Les exploitations forestières les utilisaient pour le débardage des grumes et bois de chauffage. De même pour les transports urbains, les chevaux étaient alors la principale énergie motrice utilisée. Cet ensemble d’activités assurait une importante masse de travail pour les professions proches du cheval.
Mais le monde industriel évoluait, le moteur à explosion commençait à révolutionner les moyens de transport et de déplacement. Tout doucement les véhicules à moteur ont remplacé les voitures hippomobiles. Puis vint 1914, la 1ère guerre mondiale, le 6ème Régiment de Cuirassiers partit au front dès le mois d’août. Beaucoup de cuirassiers y laisseront la vie. Après la guerre, les Cuirassiers ne reviendront pas à Sainte-Ménehould, ils seront remplacés au Quartier Valmy par le 120ème Régiment du Train.
Après la guerre qui a laissé notre région exsangue, zone de combats ou de repos et de soins pour les combattants, la reprise fut difficile. Toutes les activités avaient souffert, et particulièrement celles qui étaient liées au commerce et au service artisanal avec le 6ème Régiment de cuirassiers : les bourreliers selliers étaient bien sûr concernés. Un certain nombre d’artisans quittèrent Menou. Sont restés ceux qui avaient là leurs racines ; la famille Gamin était de ceux-là.
Pierre Gamin a été mobilisé mais je n’ai trouvé aucun renseignement sur son parcours militaire. Malgré tout, les registres d’état civil nous révèlent qu’il s’est marié avant la fin des hostilités à Orléans, le 9 mars 1918 avec Louise Lucie Stéphanie Breton. La guerre terminée, il est de retour à Menou avec son épouse. Pierre Gamin travaille ensuite auprès de son père et se prépare à reprendre l’atelier familial.
Entre temps le foyer s’est agrandi de la présence de 3 enfants : Gabriel, adulte, la bourrellerie étant en perte d’activité, est parti travailler dans la région parisienne Suzanne devenue Mme Périn, n’aura pas d’enfant et travaillera avec son mari au magasin de Pierre Foucault commerçant vestimentaire Jacqueline deviendra Mme Joulain, mère de 5 enfants, plusieurs de ses descendants sont actifs dans la région. Hélas, Jacqueline perdra son mari beaucoup trop jeune. Elle cherchera du travail et sera embauchée comme cuisinière à la crèche de Sainte-Ménehould où elle fut très appréciée. Par ailleurs, Pierre Gamin s’est engagé dans la compagnie des Sapeurs Pompiers où il a pris des responsabilités. Lorsque le 24 décembre 1933, la ferme de mes parents, 32 rue Florion, située juste en face l’échoppe du bourrelier (siège aujourd’hui des Etablissements Rocha), fut incendiée, seule l’habitation fut préservée. C’est Pierre Gamin qui dirigea la manœuvre et surveilla chaque jour jusqu’en février les risques de reprise de feu dans les tas de foin et de gerbes tassés, demeurés en lente combustion.
En 1920, à la sortie de la guerre, les chevaux de travail dans l’agriculture, la sylviculture, les charrois industriels et urbains étaient toujours nombreux et ont donné du travail aux bourreliers jusqu’en 1950. Ceux-ci sont restés au nombre de 3 sur Menou : Ancement, rue Chanzy, Darbois, avenue Victor Hugo et Gamin, rue Florion, plus un sellier carrossier M. Michel. Ils avaient chacun de leur côté joint à l’activité équine, celle de matelassier et de remise en état de fauteuils, de pose de tapis sur bureau ou billard, voire la confection de sacs d’école ou de voyage et tout ce qui touchait au cuir