
En ce temps là, Sainte-Ménehould avait des vignes et les vignerons leur confrérie. Pendant plusieurs années, les vendanges avaient été abandonnées et les vignerons, habitués à se réunir chez l’un d’eux les dimanches, décidèrent un jour de créer une confrérie : les Frères de la Saint Vincent.
Cette confrérie, suite à des dons et des offrandes, acheta des terrains pour cultiver la vigne et des propriétés foncières.
Avec la permission du curé, cette confrérie s’installa à l’église du Château, dans la chapelle de la vierge [1], et cette chapelle devint vite une des plus riches de l’église. L’autel, richement décoré, avait ses ornements et la chapelle son bedeau. Ce bedeau était revêtu d’une longue casaque rouge parsemée de serpettes, de pampres et de raisins
Mais dans cette confrérie, il était souvent question de boire et de se divertir ; les jours de fête, à peine sortis de l’office dit dans la chapelle de la Vierge, ils se rendaient dans un lieu où ils passaient une partie de la nuit à manger et à boire plus que de raison. Un jour, évidemment, les ripailles dégénérèrent en pugilat et l’on dut envoyer les cavaliers de la maréchaussée pour calmer les esprits.
Un des membres de la confrérie, riche propriétaire dans un âge avancé, tomba un jour gravement malade. Notre homme avait été en son temps plusieurs fois « maître de la chapelle de Notre-Dame des Vignerons ». Le sacristain de ladite chapelle vint lui rendre visite pour, entre autres, lui administrer les secours spirituels, et ne put s’empêcher de demander à celui qui avait fait partie de la confrérie et profité de ces excès gastronomiques, de se réconcilier avec Dieu :
- "Monsieur, dit le sacristain, pour vos derniers moments, pensez à vous faire pardonner vos excès de chair et de boisson Dieu vous entendra
- Monsieur le sacristain, répondit le moribond (qui dans ses derniers moments se rappelait confusément la confrérie dans la chapelle de la Vierge et les nuits passées en agapes), vous me parlez du bon Dieu, c’est très bien, mais je suis étonné que vous ne disiez rien de la Sainte Vierge, qui m’a procuré le plaisir de faire de si bons repas, et de boire tant de bons coups à son honneur et gloire."
Les personnes présentes qui entendirent ces paroles ne purent, malgré la cérémonie religieuse et la situation du malade, s’empêcher de sourire ; le sacristain, lui, décontenancé par cette réflexion inattendue, ne riait pas du tout
- « Cette confrérie, nous dit Buirette, s’est toujours maintenue jusqu’à l’époque où toutes les congrégations, associations et corporations religieuses ont été détruites, et où l’on a vendu leurs biens » Notre historien local veut sans doute parler de la Révolution
Quant à notre confrère qui aimait tout à la fois la Sainte Vierge, le bon vin et les grands repas, nul ne saura jamais ce qu’il est advenu quand il est arrivé tout en haut dans le ciel
(D’après le récit de Buirette, historien de la ville, pages 140 à 145)