Retrouvé par Jean Maigret, le bouquiniste de l’Argonne, dans l’almanach du combattant de l’année 1922, ce poème est écrit à la gloire du pinard, le vin rouge qui faisait le plaisir des Poilus. Et comme le dit l’auteur Marc Leclerc, ce pinard rapporté par un permissionnaire faisait revivre aux poilus le « petit patelin, la petite maison et la douce promise en coiffé de lin ». De plus, l’auteur utilise le langage courant, parfois en patois comme pour ce vers : « c’est tout l’pays qui vit en toé ».
Salut, pinard, vrai sang d’la Terre :
Tu réchauff’ et tu rafraichis,
Grand Elixir du militaire !
Plus ça va, et plus j’réfléchis
Qu’si tu n’existais pas, en somme,
Y’aurait fallu t’inventer :
« Ya plus d’pinard, y a plus d’bonhommes ! »
C’est l’nouveau cri d’l’humanité
T’es à la fois plaisir et r’mède,
Et quand t’es là, on s’sent veinard ;
Tu nous consol’ et tu nous aides :
Salut, Pinard !
Salut, Pinard, pur jus des treilles,
Dont un permissionnair’, quéqu’foès,
Nous rapporte eune ou deux bouteilles ;
C’est tout l’Pays qui r’vit en toé :
Dès qu’on a bu les premièr’gouttes,
Chaqu’ein r’trouve en soé son pat’lin :
La p’tit maison et la grand’route
La douc’ promise en coiffe d’lin
L’ein r’voét les p’tits, l’aut’ la vieill’ mère
Qui tremblait tant l’jour du Départ
Et l’on s’sent chaud sous les paupières
Salut, Pinard !
Salut, Pinard de l’Intendance,
Qu’as« l’goût d’trop peu, ou l’goût de rin »,
Sauf les jours où t’aurais tendance
A puer l’phénol ou ben l’purin
Y a m’eim des foés qu’tu sens l’pétrole !...
T’es troubl’, t’es louche, et t’es vaseux ;
Tu vaux pas mieux qu’ta sœur la gnole :
C’est sûr coume ein et ein font deux,
Qu’les Riz-Pain-Sel, îs vous mélangent
Avec l’eau d’eun’ mare à cananrds
Mais qué fair’ ?... la soèf nous démange :
Salut, Pinard
Salut, Pinard de la Victoire
Qu’on nous promettait d’puis si longtemps !
C’est donc maint’nant qu’on pourra t’boire ?
Ah ! jour de Dieu, c’qu’on est content !
Il faudra bien qu’ell’ s’accomplisse
Pour rendre enfin les Peupl’ heureux,
La grand’ Revanch’ de la Justice :
L’jour où l’on clouera Guillaum’ Deux
Avec son Kron dans la meim’ bière,
Les Alliés boéront à plein quarts
Ni eau, ni thé, ni cidr’, ni bière !
Ren qu’du Pinard !
Salut, Pinard de contrebande
Qu’ein gâs mariolle et dégourdi,
Ben qu’d’ici la distanc’ séy’ grande,
Vint d’rapporter d’chez l’mercanti :
T’as tellement battu la campagne
Et baratté dans les bidons,
Qu’ça t’rend mousseux comm’ du champagne...
Comm’ça, ceuss là qu’ont d’l’illusion
Pourront s’figurer qu’îs gueul’ tonnent
Avec des truff’ et du homard
(Quand on rêv’, pus rin n’vous étonne)
Salut, Pinard !