Il n’y a pas bien longtemps à la télévision, j’ai regardé plusieurs contes de Maupassant. C’était, à mon avis, très réussi. Les paysages bien filmés, les costumes magnifiques et les acteurs excellents. L’un de ces contes « le vieux » m’a particulièrement touchée.
« Le vieux », c’est l’histoire d’une famille de paysans. Les deux générations, comme souvent autrefois, vivent sous le même toit. Le grand-père est sur le point de trépasser. « Il ne passera pas la nuit » a dit le prêtre venu lui donner l’extrême-onction. Cela arrangerait
d’ailleurs bien ses enfants qu’il meure le jour même car les travaux prévus ne seraient pas retardés. Persuadé que le grand-père n’en a plus que pour quelques heures, le gendre se rend à la mairie, fixe avec le prêtre le jour de l’enterrement et va prévenir cousins, cousines et amis. Mais l’aïeul ne meurt pas. Le jour prévu, tout le monde arrive. Il faut bien avouer la vérité. Que faire ? Il n’y a plus qu’à manger « les douillons » (nos gomichons) que la fille a préparés et boire un coup de cidre. Au moment de se séparer, une parente annonce que le pépé a trépassé. Tout le monde se quitte en se donnant à nouveau rendez-vous. La fille va devoir refaire plusieurs fournées « de douillons ».
Pourquoi cette histoire m’a-telle plus particulièrement marquée ? Dans ce téléfilm les enfants disent :« il va passer », « il est passé ». Ils vont chercher un miroir, une bougie pour voir si le grand-père respire encore. Ces paroles, ces gestes ont évoqué des souvenirs en moi. En effet, jusque dans les années soixante, on meurt chez soi. Jusqu’au dernier moment, on entoure le mourant. Le prêtre vient lui donner l’extrême-onction et dès la preuve de la mort on lui ferme les yeux. On arrête la pendule, on recouvre la glace qui souvent trône dans la chambre à coucher. Un des membres de la famille va déclarer le mort en mairie et prévenir le curé. Pendant ce temps, la famille (ça peut être une voisine ou une dame du village) prépare le mort. On lui met son plus bel habit. Dans la grande armoire familiale, il y a toujours un beau drap neuf gardé à cet usage. On sort aussi l’eau qui a été bénite lors de la messe des Rameaux. On la verse dans une soucoupe que l’on dépose sur la table de nuit avec un brin de buis bénit lui aussi. L’enterrement a lieu en général deux jours après le décès.
C’est le menuisier du village qui fait le cercueil. L’artisan connaît bien les gens et ne pousse pas à des dépenses inconsidérées. Les voisins, les amis viennent rendre un dernier hommage au mort. On va « jeter de l’eau bénite ». C’est un des membres de la famille qui reçoit les visiteurs. On bénit le corps, on se recueille quelques instants, on évoque quelques souvenirs. Le visage du mort est recouvert d’un fin mouchoir mais on peut le voir si on le désire. On veille la dépouille du défunt. A tour de rôle, la famille se relaye toute la nuit. Un autre moment douloureux est la mise en bière, puis vient le jour de l’enterrement.
Les femmes mettent leurs habits de deuil. Le noir s’impose : robe, manteau, bas, chaussures, chapeau (aucune femme ne va à l’église tête nue) avec le voile qui cache le visage. Le brassard marque le deuil pour les hommes. Ces habits noirs, les femmes doivent les porter plus ou moins longtemps selon le degré de parenté avec le défunt. Bien des femmes viennent à peine de quitter ces habits de deuil qu’une vieille tante, un vieil oncle, une cousine meurt à son tour. Et voilà, il faut ressortir la robe noire pour quelque temps encore.
Mais revenons à notre enterrement. Le corbillard tiré par un cheval vient chercher le corps précédé du curé de la paroisse et des enfants de chœur en aube noire. Ce sont des amis du défunt qui portent le cercueil. Le chœur de l’église est lui aussi tendu de noir. A la fin de la cérémonie, la famille par ordre de parenté se range dans le porche de l’église et commence alors le long défilé des personnes qui ont assisté à l’office religieux et veulent témoigner leur sympathie à la famille.
On se rend ensuite au cimetière qui, dans certains villages, est assez éloigné de l’église. Le cortège s’effiloche car certains ont du mal à marcher et plus le cimetière est éloigné plus les langues se délient. On parle du mort, mais aussi du temps qu’il fait, des récoltes à venir.. La cérémonie au cimetière terminée, comme les enterrements se font le matin, on retient la famille à déjeuner. Ce repas de funérailles s’appelle « l’obit ». Ce mot est français qui signifie « service religieux célébré pour un défunt à la date anniversaire de sa mort », mais en Argonne, il désigne le repas qui suit les funérailles. Ce repas est très simple. Peut-être un peu arrosé ? Peut-on se retrouver sans boire une petite goutte ? On se sépare pour se retrouver à la messe du dimanche suivant. Le défunt sera encore honoré à la Toussaint, aux Rameaux, à la date anniversaire de sa mort.
Que dit l’abbé Louis Lallement dans son livre « Contes rustiques et folklore de l’Argonne » sur les rites funéraires chez nous ?
Je cite : « Les vieux Argonnais envisageaient la mort avec un calme et une résignation admirables. Le malade, avant de quitter ce monde aimait à revoir une dernière fois compatriotes et amis, aussi presque tout le village défilait devant lui. Il trouvait bien naturel de désigner lui-même ceux qui porteraient en terre son cadavre. C’était au camarade de communion, et à défaut à un ami, qu’il appartenait de porter le gros cierge d’honneur. Avant le départ pour l’église on distribuait outre le cierge d’honneur, des cierges de moyenne grosseur portés par ceux qui tenaient les coins du drap. Dès le décès, on sonnait le trépassement et la sonnerie pour le défunt se répétait à tous les angélus. La coutume locale réglait ces sonneries mortuaires. Après l’obit, les assistants récitaient à haute voix le De profondis. Habituellement, le curé présidait le repas funèbre, il commençait alors le psaume et tout le monde répondait. Puis on se rendait encore au cimetière et on ne se séparait qu’après avoir prié une dernière fois sur la tombe. On portait le deuil de ses parents deux ans ».