Connaissance du Patrimoine Culturel Local
Le Petit Journal
de Sainte-Ménehould
et ses voisins d'Argonne
Edition régulière d'un bulletin traitant de l'histoire, des coutumes et de l'actualité.


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La vaine pâture.

   par Nicole Gérardot



Notre revue se doit de présenter l’histoire locale, les évènements, les personnages qui ont fait cette histoire, mais aussi la vie de tous les jours, hier, autrefois. Pour les coutumes, deux des bénévoles du Petit Journal se sont penchés sur une tradition agricole, la vaine pâture.

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Encore un mot oublié ! Seuls les plus âgés ayant vécu à la campagne s’en souviennent peut-être !
Jusqu’au début du XX siècle, nourrir les bêtes n’était pas toujours chose facile. Toute l’année, dans les pays sans clôtures, les habitants jouissaient du droit de « vaine pâture » et les bêtes regroupées en troupeau communal sous la conduite du « berger du commun » avait le droit de paître sur les landes, dans les marais, et sur toutes les terres en jachère. Cette vaine pâture était particulièrement nécessaire du mois de mars au mois de juin quand, les maigres provisions de foin de l’hiver étaient épuisées. On ne pouvait vaguer sur les terres en culture, sur les terres « empouillées » qu’après les « dépouilles » (moissons) et sur les prés dépouillés non clos. (France agricole)

Ce mot « vaine pâture » venant du latin « vanum » inutile, qui est sans effet, vide, vain, nous dit le Larousse.

Il existait aussi une vaine pâture plus étendue qu’on appelait « le droit de parcours ». Dans ce cas, deux communes limitrophes s’autorisaient à pâturer sur le terroir voisin. Ainsi chaque communauté disposait non seulement de ses terres vaines et vagues mais aussi d’une partie de celles de la communauté voisine. La limite chez le voisin, s’arrêtait à la ligne théorique passant par le clocher. Cette pratique était souvent nécessitée par le besoin d’abreuver les bêtes, chaque paroisse ne disposait pas forcément d’un point d’eau alors que la voisine pouvait avoir abreuvoirs naturels ou ruisseaux. (France agricole).

Qui avait le droit de recourir à cette pratique ? Tous les habitants du village évidemment puisque c’était un droit communautaire. Mais, en pratique, des limites étaient posées. Pour éviter que les pauvres n’envahissent le terroir communal, le droit de vaine pâture était réglementé. Si chaque pauvre avait bien droit à une vache ou quelques brebis, la charge animale était ensuite limitée par l’étendue des propriétés de chacun. On ne pouvait mettre au troupeau commun que les bêtes qu’on pourrait nourrir l’hiver. (France agricole).

Le vain pâturage ne pouvait s’exercer que par troupeau commun, il n’était pas permis aux particuliers du village d’avoir un troupeau de bêtes à cornes séparé de celui des autres habitants. En nul temps on ne peut mener porcs en pré : la raison est que fouillant et reversant la terre avec leur groin, ils déracinent les herbes et rendent les prés difficiles à faucher. (La vaine pâture par Adrien Durand, 1891).

Que devait-on comprendre lorsque l’on parle de « prés dépouillés » ? Cette question a passionné les commentateurs des coutumes de Champagne. A quel moment les prés doivent-ils être considérés comme dépouillés ? Est-ce immédiatement après la première récolte, Est-ce seulement après la seconde faux pour sauver le regain ?

Pas le moindre doute, sur les rives de la Marne et de la Seine les prairies de Champagne étaient soumises à la vaine pâture immédiatement après la première récolte des herbes. Cet usage souffrait quelques contradictions, la règle comportait des exceptions et souvent le vain pâturage ne commençait qu’après la seconde récolte. (La vaine pâture par Adrien Durand, 1891).

Dans certaines contrées, avec les progrès de la culture et peut-être un sentiment plus vif de la propriété, la lutte devint plus vive entre les communautés et les propriétaires de prés. Ces derniers pour se soustraire aux abus de la vaine pâture entourèrent leurs biens de clôtures. Les communautés s’y opposèrent de là de nombreux procès.

Depuis quand cette coutume ? Depuis très longtemps semble-t-il. Déjà dans les années 1500, des commentateurs s’efforcent déjà de résoudre les difficultés provenant de la différence entre le pâturage sur les terres vaines et vagues et les pâturages dans les prairies. La Révolution a peu modifié les lois en ce qui concerne la vaine pâture.

Le « droit de parcours » a été aboli par la loi du 9 juillet 1889. Cette même loi avait décidé que la vaine pâture ne pouvait plus s’exercer sur les prairies naturelles ou artificielles. Cette décision souleva dans toute la France des protestations d’autant plus vives que cette disposition portait atteinte à des droits résultant d’un usage immémorial et exercés surtout par les moins fortunés des habitants des campagnes. M. Bourgeois, Sénateur de la Marne, déposa un projet de loi destiné à remédier à cet état de choses. Le parlement en tint compte et vota, le 22 juin 1890, une nouvelle loi limitant l’interdiction aux prairies artificielles et décidant que la vaine pâture pourrait être réclamée sur les prairies naturelles dans les conditions prévues par la loi.

Dans le département de la Marne, de nombreuses communes demandèrent le maintien de la vaine pâture sur les terres et sur les prés, d’autres sur les terres seulement. Seuls quelques villages en demandèrent la suppression. (Usages locaux dans le département de la Marne, 1937)

Jusqu’en quelle année a perduré cette coutume ? Je me souviens que dans les années 50, elle existait encore à Verrières. Elle avait lieu en fin d’été après les regains. J’ai le souvenir que, vers les cinq heures du soir, on entendait un bruit sourd et à ce moment là, ma mère me disait : « ferme vite la fenêtre ». Je sortais alors pour voir ce troupeau de peut-être une centaine de bêtes. Au croisement, peu avant notre maison, les vaches se séparaient et reconnaissaient toutes seules leur chemin. Cela m’époustouflait de voir ces vaches reconnaissant toutes seules leur chemin. Ces bêtes serrées les unes contre les autres, avec souvent un nuage de mouches au dessus d’elles, passaient devant moi, s’éloignaient laissant derrière une odeur âcre qui persistait un certain temps et puis aussi .quelques bouses qui séchaient au soleil sans que cela ne dérange personne. Parfois une vache, sans doute âgée, boitait ou était entravée et je la plaignais. Mais je pense qu’elles devaient être heureuses d’être libres, d’admirer la nature, de brouter à leur guise la bonne herbe du pré et de discuter avec leurs copines !

Ceux qui appréciaient ces grandes journées de liberté, c’étaient les jeunes qui les gardaient. C’étaient pour la plupart des enfants de cultivateurs, au nombre de deux ou trois, âgés de treize, quatorze ans.

Ils avaient toutefois une grande responsabilité. Il y avait toujours des bêtes fugueuses qu’il fallait avoir à l’œil. A tout moment un imprévu pouvait avoir lieu. Mais tout de même, les autres jeunes les enviaient et souvent allaient les rejoindre. Que faisaient-ils ? Ils construisaient des cabanes pour les jours de pluie. Ils confectionnaient des sifflets avec des branches de saule et d’autres objets, ils discutaient etfumaient de l’armoise et de la viorne. Il y avait aussi le moment du repas, frugal sans doute, sorti de la musette. Dans le pot de camp, il y avait le plus souvent des restes du repas de la veille réchauffé à un feu que l’on avait mis beaucoup de temps à faire brûler. Peut-être faisaient-ils griller quelques « chaillons », ces tranches de lard si appréciées autrefois. Le tout agrémenté de quelques mûres ou autre fruit qu’ils avaient grappillés par ci par là. Le soir, après la traite, chaque famille allait chercher son lait dans les fermes. La fermière le mesurait avec sa mesure en fer blanc et le versait encore chaud dans le pot à lait. Ces coutumes ont disparu de nos villages. Ainsi va la vie.

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