« Je vous parle d’un temps que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître ». Ces paroles de Charles Aznavour, je peux les faire miennes car je vais encore évoquer de vieux souvenirs, souvenirs qui me sont revenus en mémoire à la vue de cette photo de l’année scolaire 1948-1949
Photo des professeurs du collège Chanzy
Je vais commencer par la seule femme (la profession s’est bien féminisée depuis). Mme Boursier était professeur de sciences naturelles et enseignait également la physique chimie. J’ai mis un certain temps à me rappeler son nom car nous l’appelions « la Cunée », je ne sais absolument pas pourquoi. Elle devait dormir avec des bigoudis car elle avait toujours des boucles sur la tête qu’elle maintenait avec des pinces. Comme elle était nerveuse et toujours en mouvement, ses bouclettes bougeaient sans cesse. Parfois Martin sortait de son placard. Martin était un squelette humain sur pied. En entrant dans la salle de classe, nous allions chacun notre tour lui serrer la main. Lorsque Mme Boursier devait faire une expérience de chimie, tout était prêt sur la paillasse de la classe : tubes à essai, éprouvettes mais il y avait toujours un petit malin qui mélangeait deux produits ou faisait une autre bêtise et l’expérience ne marchait jamais. Notre professeur, dépitée, renvoyait tout le monde à sa place en disant : « Nous allons faire l’expérience au tableau, ça marchera mieux ! » Et en effet, ça marchait. Mme Boursier dessinait deux tubes à essai, coloriait le premier en rouge, puis en indiquant qu’elle ajoutait un produit chimique, coloriait le second en bleu. L’expérience était réussie et notre professeur avait retrouvé le sourire.
Le professeur assis à l’extrême droite de la photo était son mari et il enseignait le dessin.
Le principal, assis au milieu, le front dégagé de l’intellectuel (on dirait maintenant de l’intello) et la barbiche sévère, s’appelait M. Peusset. Etant arrivé un peu plus tard, je ne l’ai pas connu. Le professeur avec un béret s’appelait M. Bosc, il enseignait l’allemand. D’après ce qu’il m’en reste, je n’ai pas appris grand chose avec lui. Je me souviens que lorsque nous étions interrogés, il fallait se lever et réciter des déclinaisons que nous avions apprises par cœur. Assis entre M. Bosc et Mme Boursier, M. Aubin, prof de latin que l’on n’osait pas chahuter car il était aveugle.
Toujours assis, à gauche du Principal, M. Georges Lavallée. Celui dont plusieurs générations de potaches se souviennent, car il a fait pratiquement toute sa carrière à Sainte-Ménehould avec une interruption pendant la guerre où il fut prisonnier pendant cinq ans. J’ai rencontré sa fille et à propos de gymnastique, elle m’a raconté cette anecdote : en ce temps-là, point de survêtements, de Nike ou autres accessoires, M. Lavallée, pour faire son cours de gym, se contentait de retirer son faux-col.
Sa fille m’a aussi raconté qu’il avait d’abord été capitaine dans l’armée puis commandant. Après la guerre il fut très actif au sein de la ville. Pendant de longues années c’est lui qui assura la préparation militaire. Il fut aussi conseiller municipal et s’occupa du musée Il était détenteur des palmes académiques.
M. Lavallée a été mon professeur dans les années cinquante. L’image qui m’est restée est celle d’un homme déjà âgé (il n’avait alors qu’une cinquantaine d’années), le front dégarni, les cheveux blancs, frisottant et une petite moustache jaunie par la fumée de la cigarette. L’hiver, il portait en guise de pardessus, une capote de l’armée qui avait été teinte en marron (la guerre n’était pas loin). Je revois aussi sa classe au premier étage. Il ne devait pas être très ordonné car ses fiches étaient pêle-mêle sur son bureau, fiches qu’il cherchait toujours, mettant et retirant sans cesse ses lunettes. Des anciens élèves m’ont donné quelques anecdotes à son sujet.
Jean Viret, qui fut élève dans les années 1956-1957, se souvient : « Après avoir vécu l’enfer comme pensionnaire de 1949 à 1955 à Reims, mes deux années à Menou m’ont paru très »douces« . Tout était à échelle humaine : le réfectoire, les dortoirs, et même les salles de cours. Je me souviens de M. Lavallée car il avait une élocution saccadée, voire »postillonnante« . A la suite d’une plaisanterie de ma part en plein cours, il me dit : »Viret, prenez la porte ! « Ce à quoi je réponds du tac au tac : »Et où je la mets, monsieur ?" Cette réplique assura ma renommée dans l’établissement.
Je dois dire que Jean Viret s’était déjà fait remarquer dès son arrivée au collège dans le cours de Mme Boursier quand, alors qu’elle demandait un volontaire pour mesurer la classe, il se mit à quatre pattes avec un double décimètre ! Il avait réussi son effet !