Le Soleil d’Or, c’est l’auberge où l’on dit que les dragons qui étaient venus pour escorter la famille royale en fuite vers Varennes s’enivraient. Le Soleil d’Or était situé sur la place de l’hôtel de ville, alors nommée place Louis XV, mais son emplacement exact a toujours posé problème.
21 juin 1789 : un détachement du 1er régiment de dragons composé de trente hommes et deux officiers est arrivé en ville ; c’est l’inquiétude, tant à la municipalité que chez les habitants qui ont déjà vu, la veille, un régiment de hussards s’installer dans la cité. Les soldats attendront toute la journée. Leur mission secrète : escorter les berlines contenant la famille royale en fuite vers Varennes ; leur mission annoncée : escorter un trésor.
Charles Aimond écrira : « Tandis que quelques dragons, malgré la consigne, s’échappaient de leur cantonnement pour aller boire dans les auberges, le capitaine d’Andouins se promenait en ville, questionnant tous les courriers qui passaient. »
Les dragons désœuvrés se seraient enivrés et auraient donc été incapables d’escorter les voitures contribuant fortement à l’échec de la fuite à Varennes. Et cette auberge, ou une de ces auberges était le Soleil d’Or.
Les auteurs du guide de l’Argonne (1987) situent l’auberge à l’angle de la place et de la rue Drouet, rue alors nommée rue de la Porte des Bois. Personnellement je pensais que l’auberge était à l’emplacement de l’actuel « Groupama, M.S.A. », car les jardins de ce bâtiment se prolongent par une bâtisse adossée à la butte et dont l’entrée est Côte Canard. Or cette maison, aujourd’hui écroulée, avait une écurie pouvant loger cinq ou six chevaux.
Yvan Desingly, lui, situait le Soleil d’Or à l’emplacement de son auberge qu’il avait pour cette raison, alors qu’il avait racheté le bâtiment de la « Nancéenne », baptisé du nom de cet historique établissement : le Soleil d’Or.
Un témoignage
J’étais toujours dans le doute quand j’ai retrouvé une lettre dont Yvan m’avait donné une photocopie et qui avait été écrite par Maurice Bry, un Rémois qui, dans sa jeunesse, venait passer des vacances en Argonne. La lettre est datée du 21 juin 1954.
Maurice Bry écrivait donc à Yvan Desingly : « Je pense qu’il est de mon devoir, tant que je suis encore là, de vous éclairer sur un point d’histoire concernant votre immeuble. »
Et si les historiens situent cette auberge au « coin » de la place, sans plus de précision, Maurice Bry précise qu’il n’y a que deux coins possibles sur cette place : le coin de la porte des bois et le coin de la rue Chanzy, le dernier coin occupé aujourd’hui par le bâtiment baptisé Caisse d’Epargne, étant à cette époque un petit jard. Maurice Bry précise qu’il a bien connu dans sa « prime » jeunesse ce coin de la rue Chanzy qui, dit-il, « possédait sur la place une grande salle d’auberge, une cuisine et des écuries avec sortie rue de la Motte (actuelle rue Zoé Michel) et des chambres. »
Cet immeuble, qui appartenait à la famille Rossignol, aurait été partagé entre les deux filles, devenues les épouses Génin et Mazuet.
L’Empire est tombé comme l’enseigne.
Maurice Bry, Rémois, apportait encore des précisions :
« Je me souviens parfaitement que vers 1880 (j’avais 8 ans et venais passer mes vacances chez mes cousins Magn.), à la suite d’un ouragan, l’enseigne de l’auberge MagnetRossignol, qui était »l’Aigle d’Or« se décrocha et tomba sur le trottoir. Je vois encore une grande plaque de tôle peinte en noir avec deux gros poids de plomb attachés en dessous pour empêcher le balancement et sur les deux faces l’Aigle impérial doré qui s’y trouvait peint. Je vois encore et j’entends le gros peintre Abel Thrumignon, qui avait été appelé pour rétablir l’enseigne, dire à Adolphe Mazuet »l’Empire est tombé comme ton enseigne, il faut trouver autre chose".
C’était l’année de la Comète et il fut décidé de remplacer l’Aigle par une Comète. Voilà l’origine de l’enseigne « Au bon vin de la Comète » qui fit la renommée à l’époque de l’auberge Mazuet-Rossignol.
Tout ce qui précède ne serait rien si je ne pouvais apporter d’autres raisons !
Au cours des travaux de réfection de l’enseigne « l’Aigle d’Or », j’ai vu et tous ceux qui y ont collaboré ont vu que sous la couche de peinture qui supportait l’Aigle d’Or, se trouvait un autre sujet dont les traits très visibles représentaient un soleil rayonnant doré.
L’enseigne originale du Soleil d’Or était donc une plaque ronde représentant un « soleil rayonnant doré » ; cette plaque avait été repeinte en noir avec un aigle doré qui cèdera sa place à une comète, à la fin de l’empire. Et le soleil rayonnant avait été repris par Yvan Desingly pour vanter son auberge et son Pied’Or.
Mais qu’est devenue cette enseigne ? Etait-elle dans un grenier à la Nancéenne ? Et même si elle avait été retrouvée, l’ouvrier qui a peint la Comète aurait-il gratté les traces du soleil ? Ce qui est sûr, c’est que notre Yvan n’a jamais retrouvé cette enseigne.
Maurice Bry, dont d’ailleurs le sieur Drouet était le père de son arrière grande tante, était persuadé que les dragons enivrés et mutinés avaient empêché la réussite de l’évasion de la famille royale.
Qu’y a-t-il de vrai dans tout cela ? Peut-on créditer le fait que des soldats, de plus de mercenaires, compromettent leur travail en buvant dans les auberges ? Cela est peut-être à ranger avec le roi qui mange un pied de cochon ou les Prussiens qui dévorent des raisins à Valmy à en attraper la colique.
Mais que cette auberge du Soleil d’Or soit à un bout ou à un autre de la place, cela n’a pas changé l’histoire.
Le Soleil d’Or était-il au coin de la rue Drouet ?
...ou au coin de la rue Chanzy ?
Où est donc le Soleil d’Or sur le plan ?
Chaque personne a ses raisons pour situer l’emplacement de la célèbre auberge et l’examen du plan napoléonien peut valider les arguments de chacun.
Sur ce plan qui date donc du milieu du XIXème siècle, on voit, comme le dit Maurice Bry, que l’ensemble des immeubles allant de la rue Chanzy à la rue Zoé Michel (parcelle 186) n’est qu’une maison ; d’où le Soleil d’Or et ses écuries.
Par contre, les deux immeubles, aujourd’hui Groupama et Varin-Bernier, ne faisaient qu’un (parcelle 685) et l’auberge était située au coin (Guide de l’Argonne) ou dans la maison d’à côté (c’est mon idée), cette auberge avait donc de toute façon une écurie avec sortie côte Canard et bien évidemment rue Chanteraine.