Voilà un conte pour cette fin d’année un conte de Noël puisque nous y sommes presque. Seulement voilà je n’en ai pas trouvé. Finalement la Saint-Eloi n’est pas loin (c’est le 1er décembre). Voici donc ce vieux conte argonnais :« la conversion de Saint-Eloi », en patois. L’écouter serait encore plus savoureux :
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Imagine’ve une vieille boutique d’marchau, mais une vieille boutique avo des affutiaux comme gna ni pu anu. C’est da c’te boutique que l’Eloi marchaudait avo les agobilles d’sou grand-père.
Je n’sarau vous dire à qué moma ça s’est passé au jusse ! Gni lonta ! En Argonne ça ié sûr !
L’Eloi était mou capabe allez ! Il tait si fin ouvrier qu’personne n’pouvait rivaliser avo lu ! C’est du d’la qui li mis d’sus d’sa boutique un écritiau :
« Eloi l’marchau mait su mait et mait su tortout »
« Eloi le maréchal-ferrant le maître des maîtres et maître de tout »
Un biau jour au matin padant qui mettait une noquette de cuivre à un chaudron trawé, v’là un compagnon qu’enture da la boutique et qui dit : « V’n’avaime besoin d’un compagnon ? Gni lonta qu’ja atendu parler mait Eloi. »
- Ah ! Compagnon, qui dit l’Eloi, v’avez bii fait d’venir, gni queque temps qu’j’suis tout seul et ça n’ième déjà si aisi. Quand j’ma va da les villages voisins gni personne touci et l’ouvrage n’s’faime pou ainsi dire nome ! J’vous d’mandrou d’m’ forgii un fer à deux chaudes. Gni qu’mi, mait Eloi pour l’faire. Les autes marchauds mettont trois ou quate chaudes.
- Ah ! Mait Eloi, qui dit l’compagnon, j’vous f’ra un fer à une chaude si v’voulez !
- Tais’v compagnon, tais’v. V’étez un pau jeune pou iètes aussi d’adresse. On n’rigole mi avo ça ! Mais puisque v’étez si capabe v’allez n’naller au village voisin. J’su bii sur qui ii d’l’ouvrage.
Penda qu’l’compagnon purnait ses outils pou les mette da sa musette on n’i toqué à la porte. C’était un pépé qu’amoinait sa jument pou qu’on la ferrie.
- Ah ! qui dit l’Eloi, ça tombe rudema bii. V’allez m’ferrie c’tu bête là avant d’aller pu long.
Penda qu’l’pépé loyait la bête à la porte, l’compagnon tirait de sa banette un coutiau bii aiguisi et côpait un pied d’devi’ au rasibus du jarret. V’la pépé qui s’met à faire des halarmes coume un viau qu’on étrangulrait.
- V’avez don jamais rii vu qui dit le compagnon. Da mou pays, c’est comme ça qu’on ferrie les chevaux. Ouate, bié, j’mets l’pied da l’étau, j’claoue lu fer et ça va coume un gant.
Ea iétait vrai. Et l’pu pire c’est qu’la jument n’urgibaime, elle n’avaime seulema tourné la tête et ça n’faisaime sang d’aouest-ce qu’il avait coupé.
- Diad’menleuve, v’étez sorcier, ça n’me possibe autrema, dit le pépé entre ses dats.
L’compagnon i ferri les trois autres pieds coume le premier et i z’éateint si bii remin qu’on ne voyaime seulema la visèle.
L’pépé qu’était acloté cont’la furnète d’la boutique n’a r’vunaime. I n’décessaime d’tirander sa houpette d’sou son bonnet. L’Eloi n’en r’venaime nétou mais i n’voulaime awa l’air de n’mi commait’ sou métier.
- Compagnon, dit l’marchaud, dès qu’l’ pépé s’i analé avo sou ch’vau, j’crëi bii qu’v’frez mon affaire. Allez’v’s’en au village voisin.
L’Eloi avait fait une bonne attelée quand on frappe aco à la porte d’la boutique. C’était quequ’un avo un grand ch’vau blanc.
- Mait’ Eloi, Mait su tourtout, dépèches-tu d’ferrer mou ch’vau. J’n’sarau arrêter touci pu d’un heure ; j’m’a va faire la guerre aux sarrasins.
- N’ayez’m peu ! Vous n’jocqueraime touci longta ? J’vii woir une façon d’ferrer qu’ça ié fait tout d’suite.
V’la l’marchau qu’apougne son coutiau et qui côpe un pied. Ah ! Mes amis ! Si vous av’ii atendu l’ch’vau. I grigni des dats, il hagnait fourt et pi i fallait woir l’sang qui pissait qu’ça faisai une glouille d’va la boutique.
- T’es don faw, tu n’v’oime don qu’mou ch’vau va mori !
- Nenni, qui dit l’Eloi, qui ranture vitema pou mette le pied da l’étau et fair’ comme avai fait l’compagnon. L’pauv’ marchau n’étai’me trop à sou sûr, i trabullai a voyant l’sang qui rigoulai si fourt. Auissitôt l’pied bii ferré, l’Eloi i voulu l’urmette, mais l’pied n’i me voulu t’ni et l’pouve ch’vau i chu d’vant la boutique.
- Halda ! T’ai tieu mou ch’vau, un si biau ch’vau qui n’avaime sou pareil da les foires de Champagne !
C’est l’Eloi qu’était mou détret. Si v’l’l’aviez vu, i r’béyait pou voir si l’compagnon n’r’venaime. V’la l’compagnon qui s’amoingnait au bout d’la rue. Alors l’Eloi l’i houpé en luvant les bras bii haut.
- Dépèche’v, compagnon, dépèche’v !
- Vous v’la bii détret, mait Eloi !
- J’n’sarau rabobiner c’tu pied-là, j’su un homme perdu !
- N’vous inquiétaime, dit l’compagnon et purnant l’pied et en l’urmettant à sa place.
Et v’la l’ch’vau qui s’urdresse et qui se mey à gambilli comme si rii n’étai.
Alors nout Ségneur, v’l’avez reconnu, nome, l’compagnon, c’était nout Ségneur et çui qu’avai l’ch’vau blanc, c’étai Saint-Georges. Alors nout Ségneur i r’print son visage coume quand i préchi l’évangile avo les apôtres et i dit à l’Eloi un pau sèquement :
- Woit’bii, Eloi, il n’faume iète si orgueilleux. « Mait’ su tortout ». Tu sais bien qui gni qu’un mait et c’n’ème ti !
L’Eloi comprint la l’çon. Il s’i j’té à genou da la paurette à baissant la tête et à s’donnant des coups d’pougne da le mitant de l’estomac. Quand i r’leva la tête, nout Ségneur et Saint-Georges étaient déjà loin. Il i entendu une voix qui li disai : « Va j’tu pardonnes ». Alors i r’beya son écritiau, il l’i foutu à bas et i l’i broyi à coups de martiau.
Le lendemain, après awoir entendu la messe, l’Eloi i d’na tous ses bii aux pauv’ pi i s’analla s’laroute pou iète moëne da une abbaye avant qu’d’veni l’Evêque de Noyon.
C’est comma ça mes afants que l’Eloi est d’venu un saint et un grand saint, nome, puisqu’il est l’patron des marchaux et des raboureux.
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Notes : Marchau : maréchal-ferrant “ Affutiaux : vieux outils “ Anu : aujourd’hui “ Noquette : morceau “ Halarmes : jérémiades “ Visèle : cicatrice “ Glouille : flaque “ Jocquer : rester “ Acloté : appuyé _ Halda : bon à rien “ Détret : ennuyé.

Saint-Eloi est parvenu jusqu’à nous. Tout le monde connaît la chanson enfantine : Le bon roi Dagobert En effet, Eloi fut d’abord orfèvre, contrôleur des métaux, grand argentier du royaume de Clotaire II, trésorier de Dagobert I avant d’être élu évêque de Noyon en 641. Il est le patron de tous les ouvriers qui se servent d’un marteau : orfèvres, graveurs, forgerons, mécaniciens, chaudronniers, horlogers, mineurs, serruriers, armuriers, charrons, carrossiers et bien d’autres encore. Il est toujours fêté le 1er décembre. Dans beaucoup de villages d’Argonne, les cultivateurs honorent toujours leur saint patron : une messe est célébrée suivie d’un repas pris en commun. Mais son nom ne figure plus sur le calendrier.