Patrick Desingly nous avait déjà parlé de Mathurin Méheut dans notre journal. Ce peintre breton, né à Lamballe dans les Côtes du Nord, est au Japon le 2 août 1914, 1er jour de la mobilisation générale. Il rentre en France aussi vite que possible. Il connaîtra le baptême du feu à Saint-Sauveur près d’Arras. Peu après, le sergent Méheut commence à dessiner tout ce qu’il voit : les tranchées, les poilus, les cadavres dans la neige, la partie de cartes, la lettre écrite sur une chaise, la soupe, mais aussi des plants de choux dans un potager, un chien dans les lignes, des crocus jaunes Ses œuvres, souvent colorées, voire éclatantes (le 8 décembre 1914 il a reçu une boîte d’aquarelle), nous surprennent tant nous sommes conditionnés par les innombrables photographies et cartes postales toutes en noir et blanc ou en sépia. Méheut contribue à prouver l’existence du soleil et des fleurs dans cet enfer terrestre.
Après seulement quelques mois de guerre, Méheut commence aussi à dessiner pour les besoins de l’armée. Il sera finalement détaché dans des états-majors d’unités de plus en plus importants. « Il est clair que l’œil et la main d’un ’artiste et dessinateur exercé sont inégalables pour analyser, noter puis synthétiser les observations faites sur le terrain, saisir l’anormal d’un paysage, remarquer ce qui a changé, distinguer le détail important, mettre en évidence ce qui doit être retenu ».
(Cette cooptation des peintres combattants existait aussi du côté allemand !).
En février 1915, Méheut est promu sous-lieutenant. Après une permission, il rejoint son régiment à Contrisson dans la Meuse puis en Argonne. Son régiment occupe le secteur de Saint-Thomas-Servon. Le bois de la Gruerie comble l’artiste par sa beauté : « Tu n’as pas idée, ma chère femme, du trésor des troncs d’arbres, des sous-bois, faune et flore, c’est un véritable enchantement. Les études de lichens, de feuilles, la forêt, c’est plus beau que la mer ». (Pendant tout le temps de la guerre, il enverra de nombreuses lettres illustrées à sa femme Marguerite et celles-ci montrent qu’il avait une propension à la description aussi naturelle pour lui que l’est le dessin).
Début novembre, il est à Moiremont. L’hiver se manifeste : « Quel temps affreux ! Trempés comme des soupes, crottés, couverts de boue, de l’eau jusqu’aux genoux dans les boyaux. Sale perspective de passer un hiver dans des terres glaises et en forêt. Notre village est une désolation : le mince filet de fumée qui sort des huttes est balayé par un vent terrible qui charrie de gros nuages noirs. »
Puis il est détaché au service topographique de l’état-major du 10ème corps d’armée basé à Sainte-Ménehould et il écrit alors : « Te dire que ma joie est pure, non, Quitter mes poilus, cela m’a fait mal. Avoir vécu, couché, mangé, souffert côte à côte, avoir partagé les joies et les peines, je les quittais un peu comme un embusqué, cela me faisait mal. » A Sainte-Ménehould, il loge maintenant dans une « de ces espèces de maisons hantées, sinistres et froides. Il y a 4 logements comme celui de Paris dans 1 pièce d’ici. Si j’avais seulement une mansarde, un poêle et du jour de préférence à ce palais désert. »
La guerre continue. On retrouve Méheut en Champagne, puis à Dieue sur Meuse près de Verdun. Il a été nommé lieutenant. Il est débordé de travail mais ses missions lui permettent de dessiner sur les arrières de Verdun ou aux Eparges. Nouvelle mutation dans le Nord. Il travaille pour le service cartographique de l’armée. Le 8 novembre, il dessine le presbytère d’Homblières (près de Saint-Quentin) le jour où « les délégués Boches se présentaient au général Debeney pour se rendre à Foch ».
Revenu à la vie civile, Mathurin Méheut retrouve sa Bretagne natale. Il peint de nombreuses scènes de la vie maritime et rurale. Il est nommé peintre de la Marine, membre de l’Académie de marine et peintre de l’armée. Il est professeur à l’école Boulle, à l’école Estienne et à l’école régionale des beaux-arts de Rennes. Il participe à la décoration des grands paquebots de l’époque, dont le Normandie. Il collabore avec la faïencerie Henriot de Quimper et également avec la manufacture nationale de Sèvres. Il décore le restaurant « Prunier » à Paris où l’on mange encore dans des assiettes qu’il a dessinées. Il décède en 1958.
A Lamballe, sa ville natale, une exposition lui a été consacrée l’an dernier :
« 14/18, Méheut au front ».
Sources : Le très beau livre de son petit-fils et de son arrière-petite-fille publié aux éditions Ouest-France pour l’exposition : « Mathurin Méheut 1914-1918 ».
